Pacifistes rêvant de Paix

Quelques heures avant que l’Iran ne lance, le 13 avril 2024, ses drones et ses missiles, Myriam tapait encore sur son tambour, jeune retraitée survoltée, déifiant dans les rues de Jérusalem parmi des milliers d’autres.

La veille, c’est dans le centre de Tel-Aviv que marchaient les manifestants, comme chaque semaine depuis un mois. Israéliens nés ici ou ailleurs, militants de plus ou moins longue date, tous réclamaient la libération des otages détenus par le Hamas, un cessez-le-feu à Gaza, le départ de Benjamin Netanyahou.

Ceux que nous avons rencontrés veulent aussi l’établissement d’un règlement juste et durable avec les Palestiniens. Ce « camp de la paix », comme on l’a longtemps appelé, était à peu près inaudible depuis l’assassinat d’Yitzhak Rabin en 1995 et l’échec des accords d’Oslo.

Il redonne désormais de la voix, au sein d’une société israélienne composite et complexe, alors que le conflit ne cesse de creuser un puits de souffrances et de destructions. Et que ses risques d’extension n’ont jamais été aussi élevés.

Maoz Inon arrive encore à sourire, en relançant trois fois sa machine à café pour nous recevoir le mieux possible. Cet entrepreneur de 48 ans, fondateur d’auberges alternatives, travaille depuis deux décennies avec des partenaires arabes des territoires occupés et d’ailleurs. Le 7 octobre, il a perdu ses deux parents, dont la maison fut réduite en cendres. « J’ai compris que pour construire l’avenir, nous devons pardonner le passé, assure-t-il en enchaînant les phrases, comme si l’urgence habitait chacun de ses mots. Je ne veux pas laisser la colère et l’esprit de vengeance me détruire de l’intérieur. Alors, je pardonne au Hamas, organisation terroriste qui opprime et tue son propre peuple, qui a massacré des innocents comme mes parents et mes amis d’enfance. J’ai plus de mal à pardonner à mon gouvernement, qui nous avait promis la sécurité et qui a menti, ou échoué ; et qui mène une guerre terrible, qui détruit des milliers de vies et qui nous isole. De plus en plus d’Israéliens sont convaincus qu’il faut que ça s’arrête. Dans la rue, des inconnus me remercient de le dire haut et fort ».

[…]

Six mois après les tueries du Hamas, alors que plus de cent mille personnes, déplacées à cause des tirs de roquettes, n’ont toujours pas regagné leur domicile, quel est l’état de l’opinion ?

« Dans l’imaginaire des Israéliens, il faut comprendre que le 7 octobre, c’est la Shoah, dont la mémoire est centrale, ici, explique le politiste Ilan Greilsammer. Face à ces enfants tués au couteau, aux vieilles personnes brûlées vives, aux femmes violées, beaucoup sont comme tétanisés. Il est très difficile de les sensibiliser à la souffrance des Gazaouis. »

Ilan Greilsammer fait partie d’une famille politique bien connue en Israël, celle des sionistes de gauche… et lève les bras au ciel quand on lui fait remarquer que cette notion est de moins en moins comprise en France. « Si je n’étais pas sioniste, je ne vivrais pas ici ! Je suis attaché à l’existence d’Israél, sur un territoire sans colonie et partagé avec les Palestiniens. » Dans le camp de la paix, donc. […]

« Nous avons vécu un trauma énorme qui a d’abord paralysé, c’est vrai, mais ça commence à bouger », veut noter Shir Yerushalmi, 21 ans, salariée de l’organisation Standing Together, qui œuvre depuis 2015 à rassembler toutes les communautés du pays. Elle, qui a des amis à Gaza, et d’autres dont les proches ont été assassinés ou enlevés par le Hamas, passe ses journées à animer des réunions pour tenter de faire grossir les rangs des pacifistes.

« Nous avons des cercles d’échanges dans différents points du pays, et nous venons d’en ouvrir quatre ou cinq nouveaux. Les gens nous rejoignent car ils voient bien que ce n’est pas le Hamas que nous tuons, ce sont des êtres humains. On ne peut pas continuer ainsi ».

Dans ses bureaux design de Tel-Aviv, Avner Gvaryahu, directeur de Breaking the Silence — une organisation d’anciens soldats qui dénonce l’occupation des territoires palestiniens —, enfonce le clou : « La question n’est pas de savoir si Israél devait entrer en guerre contre le Hamas après les atrocités commises. Évidemment qu’il le fallait ; en cela, nous ne sommes pas des pacifistes. Mais il faut savoir quelle guerre mener. Et bombarder sans discernement n’est pas une solution. La com­munauté internationale doit faire pression pour qu’on arrête ».

[…] à quoi bon continuer des représailles qui ont déjà tué un nombre insupportable de civils palestiniens, causé la mort de plus de six cents soldats israéliens, très dangereusement accru le risque d’un conflit ouvert avec l’Iran et avec ses alliés du Hezbollah à la frontière libanaise, si tant de femmes, d’enfants, d’hommes restent entre les mains du Hamas ?

« L’unité nationale qui s’était d’abord mise en place en espérant leur retour est en train de se briser, remarque Uri Weltmann, cofondateur de Standing Together. Les gens constatent que si on veut les revoir, il faudra d’abord un cessez-le-feu, puis une paix durable, pour gagner la sécurité. Dans les sondages, Netanyahou n’a jamais été aussi impopulaire ».

De là à penser que les manifestations actuelles pourraient entraîner sa chute — comme elles ont fait échouer, l’an passé, sa réforme judiciaire — , il y a loin.

Les prochaines élections sont prévues en 2026, et le Premier ministre a tout intérêt à s’accrocher à son poste, qui le protège des poursuites pour corruption engagées contre lui. « On peut quand même espérer que la pression publique soit telle qu’elle le convainque de virer ses alliés extrémistes, de former une coalition avec le centre gauche, et de mener une politique plus raisonnable », analyse Gilberte Finkel, septuagénaire engagée depuis longtemps, membre du parti de gauche Meretz et du conseil d’administration d’Adva, un think tank de lutte contre les inégalités. […]


Valérie Lehoux. Télérama (extraits) N° 3876. 24/04/2024.


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