La «plateforme hôpital»

… ou malgré le Covid, les problèmes de la casse des hôpitaux se poursuit…

Pour gérer les soignants en temps de Covid tout en réduisant encore les moyens, le ministère de la Santé vient de lancer la plateforme RenfortRH-Crise. Plutôt que de vraies créations de postes, nous avons donc droit à une plateforme (ce qui, en langage informatisé, signifie un service dévitalisé, dématérialisé).

RenfortRH-Crise est censé faire venir des « extras », sur le principe du volontariat, pour compléter des équipes cassées par l’austérité budgétaire. La plateforme doit fonctionner, je cite la page Inter-net, « suivant un principe de « matching » » : comme sur « Tinder », il faut donner son profil pour voir si l’on « matche », si l’on correspond à un besoin de « renfort RH » quelque part dans le chaos hospitalier.

Le soin réduit à une appli : voilà un bon exemple de l’intrusion du vocabulaire et de la logique informatique dans le langage courant. Des mots dans le vent pour faire passer la destruction d’un service public.

Et puis, j’ai reçu ce témoignage d’un lecteur qui travaille à l’hôpital : dans le flot de mails que son administration lui envoie, il y en avait un avec cet objet : « CR de la réunion DRH-CSS ». Je vous traduis : « compte rendu de la réunion entre les directeurs des ressources humaines et les cadres supérieurs de santé ».

Quand on lit ces deux sigles comme un rébus, on entend les « d-r-h, c-s-s »; c’est un peu flippant. Vous allez me dire que cette semaine je fais péter très tôt le point Godwin. N’empêche, cette agglutination est une perle de notre petite novlangue quotidienne saturée de process et de tics numériques.

En Mai 68, c’était « CRS = SS », aujourd’hui, on a ça : « DRH-CSS ».

Certes, les nazis n’ont pas inventé les sigles, mais il est avéré qu’ils en ont généralisé et banalisé l’usage. Ils ont aussi popularisé les notions de « matériel humain » (Menschenmaterial) et de « direction des hommes » (Menschenführung).

Le sigle DRH permettant de crypter les mots, donc de passer sous silence le fait que désormais lhumain est une ressource comme une autre.

[…]

DRH-CSS : de tels agrégats de sigles participent du codage uniformisant de tous nos échanges; une opération à l’opposé du chiffrage singulier que sont les symptômes, les rêves et les lapsus. C’est pour tromper la censure que l’inconscient déguise nos désirs réprouvés, et les exprime par messages chiffrés – comme les « messages personnels » diffusés par Radio Londres La girafe a un long cou. Je répète : la girafe a un long cou »).

Quand je travaille à l’hôpital, je suis tenu, le soir venu, de coder tous mes actes dans l’ordinateur; soit exactement l’inverse de ce que j’ai fait avec les patients toute la journée, en l’occurrence essayer avec eux de déchiffrer leurs symptômes ou leurs actes manqués.

Voilà comment nous participons à la construction de cette putain de langue informatisée qui bouffe nos pratiques de l’intérieure.


Yann Diener – Charlie Hebdo – 24/02/2021


  1. Le Savoir-déporté, d’Anne-Lise Stem (éd. Seuil).

5 réflexions sur “La «plateforme hôpital»

  1. jjbey 02/03/2021 / 18h28

    Tout à fait exemplaire du langage utilisé pour empêcher les néophytes de comprendre. Les énarques doivent se comprendre qu’entre eux. Quand le commun des mortels est concerné on lui impose d’apprendre cette codification langagière. CQFD.

  2. Pat 02/03/2021 / 22h58

    D’autant plus révélateur que ce sont les militaires les premiers experts en ce domaine du langage codé.

  3. Danielle ROLLAT 04/03/2021 / 22h39

    Et les Patients ?

  4. Danielle ROLLAT 04/03/2021 / 22h40

    Le patient existe-il encore comme individu ?

  5. Danielle ROLLAT 04/03/2021 / 22h41

    Le patient existe-t-il comme individu ?

Les commentaires sont fermés.