Genèse du Covid-19

Les maladies émergentes proviennent souvent de pays aux écosystèmes menacés.

Il est impératif de respecter ces territoires, alerte la vétérinaire Jeanne Brugère-Picoux

Et si l’on écoutait davantage les vétérinaires pour étudier les maladies émergentes et combattre les pandémies ? Professeure honoraire de l’École nationale vétérinaire d’Alfort, agrégée de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour, mais aussi membre de l’Académie de médecine, […] Jeanne Brugère-Picoux nous rappelle l’importance de bien connaître les animaux (en l’occurrence, pour les coronavirus, les chauves-souris) et de respecter les territoires de la faune sauvage.

Depuis quand parle-t-on de maladies émergentes?

Depuis très longtemps ! Celui qui en a le mieux parlé, c’est Charles Nicolle, grand microbiologiste français, Prix Nobel de médecine, qui a dirigé l’Institut Pasteur de Tunis jusqu’à sa mort, en 1936, et a mené des recherches sur le typhus, la brucellose, le paludisme… Il a déclaré qu’il y aurait toujours des maladies nouvelles, comme un « fait fatal », et que nous ne saurions jamais les dépister dès leur origine. […]

Mais les spécialistes affirment que les maladies émergentes sont beaucoup plus fréquentes qu’il y a vingt ou trente ans…

C’est d’abord une question de diagnostic : on repère plus facilement les virus. Certaines bactéries également (c’est le cas de la maladie de Lyme). Et on connaît enfin l’origine de pathologies très anciennes, comme la maladie de Borna, du nom d’une ville de Saxe, une encéphalite qui touchait le mouton et le cheval depuis plus de deux siècles. On sait maintenant qu’elle est due à un virus et qu’elle est probablement une zoonose, une maladie transmissible entre l’animal et l’homme, qui aurait causé, en ce début 2020, en Bavière, quelques cas d’encéphalite humaine mortelle.

Pour la plupart, les maladies émergentes viennent des pays dont les écosystèmes sont les plus menacés […] émergent à la confluence de la faune sauvage, des animaux domestiques et de l’homme. Le risque de pandémie est accru par les échanges commerciaux et les voyages touristiques. Le changement climatique complète le tableau. L’exemple de l’Aedes albopictus, le moustique tigre, en Italie et dans le sud de la France, représente une menace sérieuse de transmission de maladies virales comme le chikungunya ou la dengue.

Et les coronavirus, d’où viennent-ils?

Le coronavirus est un virus à ARN, cela signifie qu’il mute beaucoup. Avec une couronne de spicules, ces fameuses protéines S qui lui permettent d’entrer dans la cellule où il se multiplie. […]

En fait, avant l’épidémie de Sras en Chine de novembre 2002, due à un coronavirus proche de celui qu’on connaît aujourd’hui, on ne s’y intéressait pas beaucoup. La préoccupation de l’époque, c’était Ebola, apparu pour la première fois en Afrique de l’Ouest en 1976, un filovirus (appelé ainsi à cause d’un aspect filamenteux) qui provoquait des fièvres hémorragiques. Les hommes atteints avaient ramassé des carcasses de grands singes contaminés pas des chauves-souris frugivores. En 2005, un autre filovirus, le virus de Marburg, a déclenché une épidémie mortelle dans le nord de l’Angola. Le virologue français Éric Leroy a établi qu’il provenait d’une chauve-souris frugivore, la roussette d’Égypte, sans passer par un animal intermédiaire.

Dans l’épidémie actuelle du Covid-19, on parle du pangolin comme animal intermédiaire entre la chauve-souris et l’homme…

C’est le plus suspecté. Des travaux ont montré chez lui un virus voisin de celui qui nous affecte, mais les Chinois n’ont pas fait de prélèvements quand ils ont fermé le marché de Wuhan. Lors de l’épidémie de Sras, en 2002-2003, on a beaucoup dit qu’un petit mammifère, la civette palmiste masquée, avait joué le rôle d’animal intermédiaire. Toutefois, ce ne fut pas toujours le cas. Ce qui permet d’émettre l’hypothèse d’une contamination directe de la chauve-souris vers l’homme. Et puis le pangolin n’est peut-être pas le seul hôte intermédiaire : une publication canadienne très récente suspecte l’implication possible de chiens errants en Chine.

Pourquoi les chauves-souris hébergent-elles autant de coronavirus?

Elles n’hébergent pas que des coronavirus, mais quantité d’autres virus, la rage, Ebola, Nipah ! Je ne pourrais pas vous en faire la liste. Elles vivent en colonies nombreuses, dans des grottes et des cavités, et certaines sont très utiles pour l’élimination des moustiques. Ce qui est notable, c’est qu’elles peuvent héberger des virus à des doses importantes sans être malades. Peut-être parce qu’elles fabriquent moins d’interférons, ces protéines de la classe des cytokines produites par les cellules du système immunitaire [et qui, chez l’homme, peuvent s’emballer en un dangereux « orage cytokinique », ndlr]. Chez elles, les virus restent puissants, mais sans les affecter.

Est-ce la raison de leur mauvaise réputation?

Je ne crois pas. Elles relèvent d’un imaginaire inquiétant parce qu’elles volent la nuit et qu’elles sont les seuls mammifères volants. […]

Les Chinois mangent-ils les chauves-souris?

Oui, ils les chassent pour les manger, c’est un peu comme la viande de brousse en Afrique, qui est un vecteur du virus Ebola. Ce n’est pas le fait que les Chinois mangent les chauves-souris qui est le plus dangereux, mais qu’ils soient en contact très étroit avec elles et d’autres espèces animales. […]

Le Pr Didier Sicard, qui a été président du Comité consultatif national d’éthique, demande qu’on criminalise les marchés d’animaux vivants et que l’on crée un tribunal sanitaire international…

Il a raison ! Les Chinois viennent d’interdire les marchés d’animaux vivants, comme ils l’avaient déjà fait en 2003. […]

Le généticien Axel Kahn dit que le vaccin contre le Covid-19 arrivera avant un an…

C’est possible, mais il faut se souvenir du Sars-CoV-1, à l’origine du Sras : il a disparu (hormis quelques cas en 2004), et la mise au point du vaccin a été abandonnée. Aujourd’hui, la pression infectieuse est énorme, mais si l’épidémie s’arrête ? On oubliera le vaccin. Et si le Covid-19 persiste par vagues, mute, il faudra prévoir un vaccin six mois à l’avance sans savoir si ce sera le bon. Les virus sont un monde complexe. […]


Extraits de propos recueillis par Vincent Remy. Télérama. 29/04/2020


4 réflexions sur “Genèse du Covid-19

  1. Pat 01/05/2020 / 14h04

    Et peut-être aussi l’état de santé général dégradé des populations d’aujourd’hui: pollutions diverses, mœurs et hygiène moins suivis, influence du chauffage et maintenant de la clim, alimentation perturbée…et combien d’autres facteurs peuvent-ils expliquer la recrudescence de ces maladies nouvelles ?

    • Libres jugements 01/05/2020 / 14h35

      Oui Pat, bien d’accord avec toi
      Peut-être faut-il ajouter à cette liste « à la Prévert », la déforestation, les cultures intensives, l’élevage intensif, l’utilisation de graines transgéniques tout comme le fait de s’entêter à vouloir manger des fraises ou des melons à Noël, des tomates hors-sol qui n’ont que la peau rouge toutes calibrées pour entrer dans des alvéoles de cagettes standardisées permettant l’empilement… etc. Et bien sûr nous ne parlerons pas de tous ces plats préparés dont on ne connaît que partiellement les compositions et l’utilisation plus ou moins pervers d’ingrédients conservateurs artificiels.
      Alors oui c’est vrai nous avons la chance de vivre en ruralité et de pouvoir s’approvisionner sur les marchés auprès d’agriculteurs, ce n’est pas le cas dans bien des villes où les citadins sont autoguidés dans un forcing–incitation de vente dans les rayons des grandes surfaces de produits d’importation le plus souvent ayant reçu des traitements diverses pour leur croissance comme pour pouvoir voyager …
      Dans ce sens, je ne suis même pas tant pour l’écologie, je suis pour la connaissance de la provenance des produits me permettant de manger autre chose que de la M… Ces alimentations qui ne sont pas forcements calibrés, mais produits à leur saison d’éclosion, ont une saveur autre que les productions industrielles sous serre.
      Amitiés
      Michel

      • jjbey 01/05/2020 / 23h34

        ce qui est certain c’est que dans les zones polluées le développement de la maladie a atteint des formes plus graves que dans les endroits moins soumis à ce fléau

  2. bernarddominik 02/05/2020 / 15h36

    Le fils d’un cousin (médecin) de mon épouse travaille en Corée, il dit qu’en Asie les malades ont été massivement soignés à la chloroquine, associée à un antibiotique.
    En Corée 89 morts en France 25.000 pour un nombre de malades équivalent.
    On nous dit « c’est grâce aux tests massifs », ce à quoi répond le médecin : « depuis quand les tests soignent ils?« .
    Pourtant après avoir interdit les masques ils ont interdit la chloroquine.
    Ce cousin est convaincu, comme le Professeur Péronne et d’autres médecins, que c’est voulu.
    Et au vu des malades en EHPAD laissés mourir sans soins, on peut se poser des questions.

    Pas en rapport avec la pollution, mais le coup de fil de ce cousin date de quelques heures, et il m’a fortement interpellé.

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