Français de souche avec ou sans guillemets ?

Cette semaine, le magazine Valeurs actuelles publie une « enquête choc » sur les « cités où les Français de souche subissent la loi des caïds ». L’expression « Français de souche » est utilisée sans guillemets. Cela fait longtemps que l’hebdo de la droite dure a laissé tomber les précautions typographiques.

Par ailleurs, des auteurs comme Alain Finkielkraut ou Denis Tillinac sont régulièrement critiqués pour l’usage de l’expression. Mais, à force de répétitions, la formule est presque passée dans le langage courant.

Les démographes s’étripent.

A en croire le démographe Hervé Le Bras, le terme est utilisé dès le début du XIXe siècle, mais a changé de sens au fil du temps. La métaphore emprunte au thème barrésien de la « terre et des morts ». Ce qui permet encore de distinguer de supposés « Français de souche » et les « Français de papiers ».

En Algérie française, l’expression est utilisée pour distinguer « les Français de souche européenne » (FSE) et les « Français de souche nord-africaine » (FSNA). C’est dans les années 90 que le terme gagne en charge polémique.

A l’origine de la controverse, une étude de Michèle Tribalat, publiée par l’Institut national d’études démographiques (Ined). Le livre, dense et technique, tente de mesurer l’apport de l’immigration dans la société française. Une fois cela déterminé, il apparaît un résidu : les fameux Français « de souche ». La méthode irrite Hervé Le Bras, qui va lui répondre dans un article intitulé « Les Français de souche existent-ils ? » et dans un livre, « Le Démon des origines » (Ed. de l’Aube, 1998).

Le démographe estime que sa collègue a donné une caution pseudo-scientifique à une notion manipulée par l’extrême droite. Il reproche à la démographe de céder à la « fatalité biologique » : « L’opération ethnicise le nationalisme puisqu’elle assimile la nation française à la présence d’un groupe ethnique majoritaire flanqué de plus petits groupes dont l’assimilation est en cours. »

Lui souligne ce qu’il pense être des aberrations méthodologiques, dont la date butoir de l’étude (1900) qui effacerait les phénomènes migratoires antérieurs que la France a pourtant connus. Il s’agace également d’une seconde définition apportée par Michèle Tribalat, pour qui les « Français de souche » sont les personnes « nées en France de deux parents nés en France ».

Or, Giscard d’Estaing est né à Koblenz, en Allemagne…

Joint par Rue89, Hervé Le Bras, qui n’a pas désarmé, fait référence à d’autres études chapeautées par Michèle Tribalat. Cette dernière préfère désormais utiliser l’expression « natif au carré ». (…)

Ce débat gagne en tout cas en résonance dans la presse d’extrême droite.

La tournure séduit surtout la Nouvelle droite, un courant insufflé par l’écrivain Alain de Benoist, qui aime tisser l’image d’une Europe blanche, fécondée par les Indo-européens – supposés pères génétiques de la « race blanche ». Du « Français de souche », on glisserait alors vers l’« Indo-européen ». C’est avec cela en tête qu’Hervé Le Bras égratigne également Jacques Dupâquier, alors vice-président du conseil scientifique de l’Ined. (.. .)

L’Eden n’est pas en France

Aujourd’hui, ce vocabulaire irrigue la mouvance identitaire. (…) Damien Rieu, porte-parole de Génération identitaire, définit ainsi ce qu’il entend par « Français de souche », avec une once de paradoxe : « Quelqu’un qui a des ascendants européens. Ethniquement, le peuple français n’existe pas, c’est un concentré de peuples de l’Europe de l’ouest. » Interrogé sur le sens de l’expression, l’historien Patrick Weil la critiquait en 2011 : « Elle n’a aucun fondement. Les souches sont immobiles, tandis que les êtres humains bougent et évoluent. La France a été une terre d’invasion puis de migrations, et les nouveaux venus ont toujours fini par s’intégrer. » Ce que formule autrement Hervé Le Bras : « Il est sûr que l’Eden n’étant situé en France par aucune tradition, nous descendons tous d’immigrants à un certain horizon temporel. »


Titre original « Français de souche » : généalogie d’un concept manipulé par l’extrême droite. Auteur – Noyon Remi, Rue 89 du 22 août 2014 – Permalien


 

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