Mali – La guerre vue d’Italie !

Prix Nobel de la paix, l’Europe est en guerre depuis près de quinze ans — des Balkans à la Libye, en passant par l’Afghanistan et aujourd’hui, au Sahel. Un interventionnisme pourtant marqué par l’absence de vision à long terme.

A la veille des élections italiennes [en février] et allemandes [en septembre], le silence qui règne sur un sujet aussi important que la guerre étonne. Parce que ces conflits se passent ailleurs, on n’en parle pas. Pourtant, la guerre nous pénètre jusqu’aux os, et ce depuis longtemps.

Et si ce n’est pas l’Union européenne, dépourvue de gouvernance politique commune, qui la mène, la guerre fait néanmoins partie de son quotidien. Si l’on ajoute à la lutte sans fin contre le terrorisme les conflits qui ont éclaté dans les Balkans à la fin du XXe siècle, voilà près de 14 ans que les Européens participent périodiquement à des interventions armées. Au début, celles-ci faisaient l’objet de débats houleux : ces guerres sont-elles bien nécessaires ? Et si ce n’est pas le cas, pourquoi les faire ? Sont-elles vraiment humanitaires, ou bien plutôt dévastatrices ? Et quel bilan tirer de la lutte contre le terrorisme à l’échelle mondiale : le fait-elle reculer ou bien progresser ?

Les politiques répondent aux abonnés absents et aucun pays européen ne se demande ce que c’est que cette Union qui ne trouve rien à dire en la matière, concentrée qu’elle est sur sa monnaie. Entrée à l’aveuglette dans une nouvelle ère de guerre néocoloniale, l’Europe avance dans le brouillard.

Explications fallacieuses

La guerre – souvent sanglante, rarement fructueuse – n’est jamais appelée par son nom. Elle avance masquée : elle permettra de stabiliser les pays en faillite, de les démocratiser et, surtout, sera brève et peu coûteuse. Celle qui a débuté le 11 janvier au Mali est conduite par la France de François Hollande, avec le maigre appui de soldats africains et l’approbation – rétroactive – de ses alliés européens.

Aucune concertation ne l’a précédée, en violation du traité de Lisbonne (art. 32, 347). Nous sommes presque toujours projetés dans la guerre. On a même quelqu’un – pompeusement baptisé « Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères » [Catherine Ashton] – pour remercier la France, tout en précisant aussitôt que Paris devra se débrouiller seul, « en l’absence d’une force militaire européenne ». Une photographie fidèle de la situation, certes, mais l’on aurait pu attendre un discours un peu différent de la part de quelqu’un qui occupe des fonctions aussi importantes.

Bien des choses que nous lisons sur la guerre sont fallacieuses : elles invitent non pas à méditer sur l’événement mais à en faire le constat passif, et à considérer les interventions comme des cas isolés, sans rapport les unes avec les autres. La guerre voit également l’apparition massive d’experts improvisés et de techniciens. L’interventionnisme est en train de devenir un habitus européen, copié sur l’américain, mais on n’entend jamais la version longue de cette transformation, qui met en relation les conflits et permet d’éclairer la situation globale. Il manque pour cela une vision globale de long terme qui définisse ce que nous sommes en Afrique, en Afghanistan, dans le Golfe persique. Qui compare notre vision à celle des autres pays. Qui examine la politique chinoise en Afrique, si volontaire et si différente de la nôtre : elle est axée sur l’investissement, quand la nôtre se focalise sur l’aspect militaire.

Une vision globale à long terme permettrait de dresser un bilan à froid des conflits dépourvus d’objectifs clairs, de limites géographiques, de calendrier — de ces conflits qui ont entraîné la montée du jihadisme au lieu de le contenir et qui, après l’Afghanistan, s’étendent aujourd’hui à la région du Sahara et du Sahel. Des conflits qui n’ont rien appris des erreurs d’hier, systématiquement passées sous silence. De nobles épithètes ne suffisent pas à masquer des résultats calamiteux : les interventions n’engendrent non pas l’ordre, mais le chaos, non pas des Etats forts, mais des Etats plus défaillants qu’ils n’étaient. Une fois l’intervention terminée, les pays sont abandonnés à leur propre sort, non sans avoir fait naître un profond sentiment de désillusion chez les peuples assistés. Et puis l’on part vers de nouveaux fronts, comme si l’histoire des guerres était un safari touristique en quête de butins exotiques.

Cas d’école

En matière de guerre nécessaire et humanitaire, le Mali est un cas d’école. Au cours de la décennie écoulée, l’adjectif humanitaire a perdu son innocence. Il était nécessaire d’intervenir pour stopper le génocide rwandais en 1994, et si l’on n’a pas agi, c’est parce que l’ONU a retiré ses troupes au moment même où débutait l’extermination. Il était en revanche nécessaire d’éviter l’exode – vers l’Europe – des Kosovars pourchassés par l’armée serbe. Mais les guerres à répétition ne sont pas nécessaires, puisqu’elles n’arrêtent manifestement pas les terroristes. Elles ne sont pas non plus démocratiques. Sinon, comment expliquer l’alliance conclue avec l’Arabie saoudite et le montant des aides allouées à Riyad, plus généreuses que celles destinées à Israël ? Non seulement le royaume saoudien n’est pas démocratique, mais il figure parmi les principaux bailleurs de fonds du terrorisme.

La dégradation de la situation malienne était évitable si les Européens avaient étudié le pays : considéré pendant des années comme un phare de la démocratie, le Mali a sombré dans la pauvreté, ravivant les problèmes posés par des frontières coloniales artificielles. La lutte pour l’indépendance des touaregs, dont les racines étaient anciennes, a trouvé son point d’orgue le 6 avril 2012 avec l’indépendance de l’Azawad, au nord du pays. Pendant des dizaines d’années, les touaregs ont été ignorés, méprisés. Afin de lutter contre un indépendantisme initialement laïc, on a toléré la formation de milices islamistes, réitérant ainsi l’erreur commise en Afghanistan. Résultat des courses : les touaregs se sont appuyés sur [le leader libyen] Kadhafi, puis sur les islamistes : ce sont ces derniers qui ont envahi le nord du Mali, début 2012, récupérant et dénaturant la lutte touareg.

Une guerre née de ses cendres

Mais l’erreur la plus grave consiste à ne pas considérer les guerres de ces dernières décennies du point de vue global. Une opération menée à un point précis du globe a des répercussions ailleurs : les échecs afghans ont engendré le cas libyen, le demi-échec libyen est responsable de la situation malienne. Le problème est que chaque conflit est engagé sans analyse critique des conflits précédents. En Libye, le triomphalisme a duré longtemps, jusqu’à l’assassinat de l’ambassadeur des Etats-Unis, Christopher Stevens, le 11 septembre 2012 à Benghazi. Il a fallu attendre cet événement pour voir qu’un grand nombre de miliciens de Kadhafi — touaregs ou islamistes — étaient passés dans l’Azawad. Et que la guerre n’était pas finie, mais qu’elle renaissait de ses cendres au Mali.

En sept ans, le nombre de démocraties en Afrique est tombé de 24 à 19. C’est un échec, pour l’Europe et pour l’Occident. Pendant ce temps, la Chine regarde et se frotte les mains. Elle assoit sa présence sur le continent. A l’heure qu’il est, son interventionnisme consiste à construire des routes, et non à faire la guerre. Il s’agit bien de colonialisme, mais d’un autre ordre. Ses atouts sont la résilience et la patience. Peut-être est-ce pour disputer à Pékin son emprise sur l’Afrique et l’Asie que l’Europe et les Etats-Unis se montrent aussi belliqueux. Ce n’est là qu’une hypothèse, mais si l’Europe se mettait à discuter, elle évoquerait aussi ce sujet, et ce ne serait pas inutile.

– 28 janvier 2013 – La Repubblica Rome – Traduction : Jean-Baptiste Bor – Permalien

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La main invisible de l’Europe

18 janvier 2013 – La Tribune,  Paris –  Jean-Christophe GallienPermalien

Une semaine après le lancement des opérations contre les islamistes qui contrôlent le Nord du Mali, les Français sont toujours les seules forces occidentales engagées sur le terrain. Mais les Vingt-Sept, qui ont renoncé à une capacité militaire commune, sont présents sur d’autres fronts, plus discrètement.

L’Union est presque au banc des accusés, elle serait absente, sans réaction face à la crise, inutile encore et toujours, la France serait seule ! L’analyse objective de la situation contredit ces affirmations sur les champs politique, financier et humanitaire tout en marquant un véritable échec, celui de la politique de défense et de sécurité commune.

Que s’est-il passé dès que Serval fut connue ?

L’Union organise des réunions de crises pour ajuster le calendrier et les actions du processus européen propre au Mali décidé par les 27, en particulier la mission EUTM Mali. La réunion des ministres des Affaires étrangères qui s’est tenue à Bruxelles le 17 janvier était le prolongement et la démonstration de cet engagement de l’Union Européenne, solidaire de la France au Mali. Au moins politiquement et symboliquement.

Concrètement, l’Union apportera son soutien financier notamment à la MISMA – la mission internationale sous conduite africaine déployée au Mali – de la CEDEAO afin de financer les salaires des soldats africains.

Consensus mou mais européen

Reste que le Mali confirme la difficulté de la mise en œuvre de la Politique étrangère et de sécurité commune. Née avec le traité de Maastricht en 1993 la PESC devait : « conduire, le moment venu, à une défense commune ». En 1999 le sommet d’Helsinki précise que l’Union Européenne doit pouvoir, avant la fin de l’année 2003, déployer jusqu’à 60 000 hommes grâce à des éléments aériens ou navals dans un délai de 60 jours.

Depuis l’Union a fait face à la difficulté de réunir des forces opérationnelles de cette dimension. En 2004, la Conférence d’offres d’engagements en matière de capacités militaires a lancé le concept des groupements tactiques de 1 500 hommes permettant à l’Europe de répondre plus rapidement aux situations de crise. L’une des principales ambitions militaires de l’UE était d’avoir la capacité de réagir vite et efficacement dans les zones de conflit situées en-dehors de l’Union.

C’est donc vrai, au Mali, une force européenne de terrain aurait pu intervenir, posant la marque diplomatique et militaire de l’Union. Nous sommes face à une crise, hors d’un territoire des Vingt-Sept, une crise qui survient dans un pays situé à moins de 6 000 km de Bruxelles, une crise qui rend nécessaire, a priori pour la majorité de la communauté internationale, avec un consensus mou mais européen réel, sans oublier l’appel de la gouvernance Malienne légitime, une intervention rapide avant le relais à une autre force de type africaine et régionale.    (Extrait)

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Les bombardements au Mali et l’interventionnisme occidental.

Au moment où des avions français bombardent le Mali, une statistique toute simple explique le contexte : cette nation de l’Afrique de l’Ouest de 15 millions d’habitants est le huitième pays où les puissances occidentales ont, ces dernières années, bombardé et tué des musulmans, après l’Irak, l’Afghanistan, le Pakistan, le Yémen, la Libye, la Somalie et les Philippines (sans parler des nombreuses tyrannies mortifères soutenues par l’Occident dans cette région du globe). Pour des raisons évidentes, la rhétorique selon laquelle l’Occident n’est pas en guerre avec le monde musulman sonne de plus en plus faux chaque fois que le militarisme progresse. Mais cette nouvelle campagne massive de bombardements nous révèle des enseignements essentiels concernant l’interventionnisme occidental, des leçons qui, comme toujours, sont résolument ignorées.

Premièrement, comme l’a souligné le New York Times, l’instabilité que connaît le Mali est, pour une large part, la conséquence directe de l’intervention de l’Otan en Libye. En particulier, « des combattants islamistes lourdement armés, très aguerris par les combats en Libye », « les importants stocks d’armes sortis de Libye, ainsi que des combattants différents, plus islamisés de retour de ce pays » ont joué un rôle de catalyseur dans l’effondrement d’un gouvernement soutenu par les États-Unis. Pour reprendre l’excellente analyse d’Owen Jones dans le quotidien britannique The Independent :

« Cette intervention est la conséquence d’une autre intervention. On a fréquemment vendu la guerre en Libye comme un modèle de réussite pour un interventionnisme à visées progressistes. Pourtant, le renversement de la dictature de Kadhafi a eu des conséquences que les services de renseignement occidentaux ne se sont probablement pas donné la peine d’envisager. Les Touaregs – qui traditionnellement venaient du nord du Mali– constituaient une proportion importante de son armée. Lorsque Kadhafi fut éjecté du pouvoir, ils retournèrent chez eux : parfois sous la contrainte lorsque des Africains noirs subirent des agressions dans la Libye post-Kadhafi, une donnée gênante largement ignorée des médias occidentaux. La guerre en Libye fut considérée comme un plein succès, seulement nous en vivons actuellement le contrecoup. »

À chaque fois, les interventions occidentales s’achèvent par incompétence ou par manque d’objectifs, et elles sèment les graines d’interventions futures. Étant donné la très grave instabilité qui affecte la Libye actuellement, couplée à la colère durable consécutive à l’attaque contre Benghazi, dans combien de temps nous annoncera-t-on que des bombardements et des envois de troupes dans ce pays sont – une fois encore – nécessaires pour combattre les forces « islamistes » au pouvoir : des forces mises en place grâce au renversement par l’Otan du gouvernement de ce pays ?

Deuxièmement, le renversement du gouvernement du Mali fut facilité par la désertion de soldats entraînés et armés par les États-Unis. Selon le New York Times, des cadres d’unités d’élite de cette armée, « entraînés minutieusement par les États-Unis, firent défection quand on eut vraiment besoin d’eux, en emportant chez l’ennemi, au plus fort de la bataille, des troupes, des armes, des camions et leurs compétences récentes, selon des responsables de l’armée malienne. » Puis, « un officier entraîné par les États-Unis a renversé le gouvernement élu du Mali, préparant le terrain pour la prise de la moitié du pays par des forces extrémistes islamistes. »

Autrement dit, l’Occident est de nouveau en guerre avec les forces mêmes qu’il a entraînées, financées et armées. Personne n’est plus compétent que les États-Unis et ses alliés pour créer ses propres ennemis, perpétuant ainsi un état de guerre sans fin. Lorsque les États-Unis ne trouvent pas d’ennemis à combattre, il les créent. Tout simplement.

Troisièmement, les bombardements de musulmans dans un nouveau pays provoqueront à l’évidence toujours plus de sentiments anti-occidentaux, ce qui alimentera le terrorisme. Déjà, comme l’a observé le Guardian, les avions de chasse français « ont tué au moins 11 civils, dont trois enfants ». Le long passé colonial de la France au Mali ne peut inévitablement exacerber que de la colère. En décembre dernier, après que le Conseil de sécurité des Nations Unies eut autorisé une intervention au Mali, Salvatore Saguès, spécialiste de l’Afrique de l’Ouest pour Amnesty International, prévenait : « Une intervention armée internationale risque d’amplifier la violation des droits humains dont nous sommes déjà témoins dans ce conflit. »

Comme toujours, les gouvernements occidentaux sont parfaitement conscients de ce risque, et pourtant ils agissent comme ils l’ont planifié. Le New York Times observe que les bombardements français ont commencé « en dépit d’avertissements proférés depuis longtemps par les États-Unis selon lesquels une offensive de l’Occident contre un bastion islamiste pourrait battre le rappel de djihadistes dans le monde entier et susciter des attentats terroristes jusqu’en Europe. » De fait, au moment même où les Français tuent des civils au Mali, un raid conjoint franco-étatsunien en Somalie à causé la mort d’« au moins huit civils, dont deux femmes et deux enfants ».

Croire que les États-Unis et leurs alliés peuvent continuer de la sorte dans le monde entier, un pays après l’autre, peuvent bombarder et tuer des innocents – musulmans – et ne pas être la cible d’attentats « terroristes » est, pour des raisons évidente, pure folie. Comme Paul Rogers, professeur à l’université de Bradford, le disait récemment, le bombardement du Mali «  sera décrit comme « un nouvel exemple d’agression contre l’islam » ». Les espoirs que l’on pouvait nourrir concernant la fin de la «  guerre contre le terrorisme » sont totalement anéantis par l’agression en cours.

Quatrièmement, en dépit de la rhétorique d’autosatisfaction dont les démocraties occidentales adorent se délecter, il est sidérant de constater à quel point ces guerres sont menées sans aucune référence à un quelconque processus démocratique. À propos de la participation du gouvernement britannique dans l’attaque contre le Mali, l’Independent estime «  troublant, pour ne pas dire plus, que Cameron ait engagé la Grande-Bretagne dans ce conflit sans même avoir fait semblant de consulter le Parlement. » De même, le Washington Post révèle que le président Obama n’a reconnu qu’après coup que des chasseurs étatsuniens ont pénétré dans l’espace aérien somalien dans le cadre de l’opération menée par la France dans ce pays. Il s’agit, selon le Post, «  d’un aveu rare des menées militaires des États-Unis dans la Corne de l’Afrique », donc du secret anti-démocratique qui entoure systématiquement les actes de guerre des États-Unis dans la région :

« L’armée des États-Unis avait basé un nombre croissant de drones Prédateurs, de F-15 au Camp Lemonnier, qui est devenu une base clé pour les opérations secrètes de contre-terrorisme en Somalie et au Yémen. Le ministère de la défense a refusé de donner l’identité des avions utilisés dans cette mission de récupération des otages, déclarant simplement qu’il s’agissait de chasseurs et non de drones… Cependant, on ne sait pas clairement pourquoi Obama s’est cru obligé de révéler l’existence de cette opération particulière alors qu’il n’avait pas évoqué d’autres missions bien précises menées en Somalie. Les porte-parole de la Maison Blanche et du Pentagone refusent de fournir des réponses à ces questions. »

Naturellement, le gouvernement Obama a drapé toute sa campagne d’assassinats par drones dans le manteau impénétrable du secret, s’assurant que cette campagne resterait hors de portée d’une quelconque investigation par les médias, les tribunaux et les citoyens. Les États-Unis et leurs alliés occidentaux ne se contentent pas de mener une guerre sans fin, systématiquement, contre les musulmans. Ils le font dans un secret quasi complet, sans aucune transparence ni responsabilité. Bonjour les « démocraties » occidentales !

Finalement, la propagande utilisée pour justifier tout ceci est d’une banalité déprimante, même si elle est extrêmement efficace. Un gouvernement occidental qui souhaite bombarder des musulmans se contente de leur accoler méchamment l’étiquette de « terroristes« , et le moindre débat, le moindre jugement critique sont instantanément étouffés dans l’œuf. Comme l’a proclamé le ministre de la Défense Jean-Yves le Drian, « le président Hollande est totalement déterminé à éradiquer les terroristes qui menacent la sécurité du Mali, notre propre pays et l’Europe. »

Comme toujours, cette vision simpliste déforme la réalité plutôt qu’elle ne la décrit. À l’évidence, les rebelles maliens ont commis toutes sortes d’atrocités odieuses (amputations, flagellation, lapidation jusqu’à la mort pour ceux qui s’opposent à leur interprétation de l’Islam), mais les forces gouvernementales maliennes ont, selon Amnesty, « arrêté, torturé et tué des Touaregs sur des bases ethniques. » L’Independent nous prévient à juste titre : «  ne vous laissez pas mener en bateau par la version offerte par les médias occidentaux : il s’agit d’une simplification perverse, comme celle qui nous a été imposée dans la cruelle guerre civile syrienne. »

Les bombardements français au Mali, avec peut-être la participation des États-Unis, sont une illustration du mode d’intervention occidental. La “ guerre contre le terrorisme ” est une guerre qui assure sa propre pérennité, précisément parce quelle crée sans fin ses propres ennemis et qu’elle fournit l’huile garantissant que le feu brûlera jusqu’à la fin des temps. Mais la propagande à base de slogans qui sert à justifier tout ceci est à ce point facile et de pacotille (il faut tuer les terroristes !) qu’il est difficile de percevoir quand tout cela s’arrêtera. La peur aveugle – pas seulement de la violence, mais de l’Autre – qui a été greffée avec succès dans le cerveau de nombreux citoyens occidentaux est telle que ce simple vocable vide de sens (les terroristes) est capable, à lui seul, d’engendrer un soutien inconditionnel à toute initiative prise en leur nom, quel que soit le secret ou le manque de preuves qui l’entoure.

Glenn Greenwald  (The Guardian) Permalien – Traduction Bernard Gensane pour « le Grand Soir«