Gardons la dette froide

Etonnant combien le thème de la dette peut soulever les passions.

Lorsque le mois dernier le chiffre du déficit public pour 2023 a été publié (5,5% du PIB), la fièvre a saisi tout ce que ce pays compte de commentateurs. On a parlé de « perte de contrôle », de « gabegie », d’« hémorragie », la palme revenant au « Figaro » pour son titre apocalyptique : « La France sur le toboggan de l’enfer ». Et Valérie Pécresse a ressorti son idée furieuse de « comité de la Hache », vestige de la fin des années 1930 !

Sans doute cette fébrilité tient-elle à notre culture chrétienne. Le pécheur-débiteur, le Messie-rédempteur, « celui qui rachète » notre dette. Nietzsche a très bien analysé tout cela dans sa « Généalogie de la morale ». A noter qu’en allemand, le même mot, Schuld, désigne à la fois la dette et la faute. En araméen, la langue du Christ, aussi.

Certes, il serait naïf de nier le défi posé par l’endettement public, qui dépasse 3000 milliards d’euros. Mais il n’y a aucune raison de céder à la panique. Il vaut mieux respirer et se poser les bonnes questions. Pour commencer : quel est le problème ?

Potentiellement, il est double. D’abord, si la dette est appréciée quand on la crée (par exemple pour baisser les impôts des ménages riches ou soutenir l’économie bousculée par le Covid), il faut la rembourser, avec ses intérêts. Dans un budget, cette charge, c’est autant d’argent en moins pour les autres politiques : éducation, santé, transition écologique, etc.

Second problème : l’emballement d’une dette peut conduire à une crise de solvabilité. Les prê­teurs doutent alors brutalement de la capacité de l’emprunteur à les rembourser. Cela se traduit par des taux d’intérêt très élevés et très pénalisants. La Grèce a vécu ce drame au début des années 2010.

Or, sur ces deux tableaux, n’en déplaise aux agités du toboggan de l’enfer, la France n’a pas trop à s’en faire. Si la dette a augmenté de 147 milliards en 2o23, son poids relatif a baissé, notamment grâce à l’inflation. Elle est passée de 111,9 % à 110,6 % du PIB entre 2022 et 2023 (en 2021, elle était à 116%).

La charge des intérêts reste modérée. Alors qu’elle était de 3,5 % du PIB en 1997, elle atteint 1,8 % aujourd’hui. En 2023, elle s’est même repliée de 2,6 milliards d’euros. Les projections alarmistes du gouvernement (une dérive de cette charge d’ici à 2027) semblent surestimées. La hausse des taux d’intérêt s’étant arrêtée, le risque d’une explosion s’éloigne.

Quant au second risque, la crise de confiance, personne n’y croit une seconde sur les marchés (du moins à court terme). Les prêteurs restent friands de dette française. Les gesticulations et cris de panique qui ont accompagné le chiffre de déficit de 5,5% ne les ont pas impressionnés. La preuve, ces dernières semaines, les taux d’intérêt sont restés de marbre. Si les agences de notation Moody’s et Fitch décident, le 26 avril, de dégrader la note de la France, cela ne les troublera pas davantage.

La réduction de la dette publique est un défi complexe, qui doit se traiter sur le long terme. Ne pas comprendre ce principe, foncer tête baissée dans des programmes d’austérité, c’est la meilleure façon de faire souffrir les plus fragiles de la nation sans pour autant résoudre le problème visé.

Alors que la croissance est faiblarde et que la Banque centrale européenne garde le pied enfoncé sur le frein, réduire les dépenses sans réfléchir, que ce soit au rabot ou à la hache, ne serait pas très malin.

Les coupes que propose Bruno Le Maire pèseraient sur la croissance et donc sur les rentrées fiscales ; elles conduiraient finalement au résultat inverse de celui recherché, à une augmentation du déficit. Le FMI met régulièrement en garde contre de telles politiques contreproductives.

L’an dernier, ses experts ont calculé que seul un plan d’économies sur deux parvient à réduire le taux d’endettement. Cela devrait calmer les bûcherons de Bercy.


Pascal Riché Le Nouvel Obs. N° 3107. 18/04/2024


4 réflexions sur “Gardons la dette froide

  1. bernarddominik 20/04/2024 / 15h11

    La dette est l’image de la santé économique d’un pays. Un déficit de l’état signifie que le gouvernement ne maîtrise pas les comptes publics. Relancer l’économie par la dette est un leurre: cela va augmenter les importations et aggraver le déficit commercial. Le déficit de l’état n’est pas du à des investissements productifs, mais à des dépenses de fonctionnement non maîtrisées et aux dépenses militaires. Acheter des obus n’a jamais augmenté la productivité d’un pays. Le nouvel obs se distingue encore par son ignorance économique. Les taux suivent une logique d’offre et de demande, à cela se rajoute le risque. Si la tension sur les taux monte (forte demande risques de conflits) même avec une bonne note ils monteront, et si les capitalistes ne trouvent pas assez d’emprunteurs les taux baisseront. Seule la BCE peut enrayer ce processus en jouant sur la planche à billets, encore faut il qu’elle le veuille, ou le puisse.

  2. rblaplume 21/04/2024 / 12h13

    Je ne suis pas très formé en ce domaine. Aussi, je poserai quelques questions :
    1. le niveau d’endettement d’un pays ne repose-t-il pas sur plusieurs catégories de dettes (financières, des entreprises, des ménages, de l’État) ?
    Que dire des pays qui calcule dans le PIB l’économie souterraine et/ou la traite des humains, la drogue, etc. ? Cette référence d’endettement n’est-il pas à reconsidérer ? Que fait-on de la balance des paiements ?
    Est-ce un critère pertinent sur le long terme ?
    2. le remboursement de la dette d’État ne fonctionne-t-il pas sur un mode différent de ce que l’on a l’habitude de traiter pour un ménage ? L’État ne fait-il pas rouler sa dette ?
    3. de grands pays, Japon, États-Unis, la Chine n’ont-ils pas un niveau de dettes plus élevé que la France ? Il me semble que d’autres pays comme l’Italie, le Portugal, l’Espagne, la Belgique et peut-être même le Canada nous côtoient dans cette fourchette ? Sont-ils tous en « faillite » ? Ne faudrait pas cumuler l’ensemble des types de  dettes pour avoir une vue plus globale ?
    4. En termes d’emprunt doit considérer les taux d’intérêts et l’inflation durant cette période ? N’y-a-t-il pas des emprunts indexés ?
    5. La BCE n’intervient-elle  pas sur le rachat de ces emprunts dans le cadre de l’Euro ou de l’Union ?
    6. La qualité des emprunts repose sur la capacité à recouvrer l’impôt par un état en prenant en compte la démographie, les réserves en devises ou en or, le patrimoine immobilier, culturel, le système éducatif, la paix sociale, la place dans l’échiquier international (Poste permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, puissance nucléaire, le niveau de recherches fondamentales et appliquées, les infrastructures, etc.) 
    Enfin, je m’interroge sur ces frayeurs saisonnières et annonciatrices de mesures drastiques qui sont imposées au plus grand nombre préservant les puissants économiques et fortunes personnelles (continuation de l’assistance financière aux entreprises en 2023 soit 260 milliards), en maintenant une fraude fiscale de l’ordre de 80 milliards, une optimisation fiscale énorme à calculer.
    Tous ces personnels politiques ne jouent que sur la peur à tour de rôle quoi qu’il nous en coûte ? Pour certaines causes d’aujourd’hui, le quoi qu’il nous en coûte ne pose pas de problèmes de financement notamment pour l’Ukraine, les Jeux Olympiques !
    Pour notre pays dont chacun et chacune mesure les déclassements, les désinvestissements, les insécurités sociales, sociétales, publiques et la paupérisation des SERVICES PUBLICS. Le transfert continuels de secteurs de l’économie non marchande lucratif aux secteurs privés s’imposent comme une évidence. L’impuissance programmée de l’État, par ceux qui en sont les garants, dans les domaines réguliers et/ou dans les prérogatives imminentes qui incombent au gouvernement !
    Cette protection sociale et citoyenne nous coûte un pognon de dingue !
    Il faut envoyer la cavalerie et sabrer !

    • bernarddominik 21/04/2024 / 17h35

      En pratique il y a la dette sociale (le déficit de la sécurité sociale) dont la crds est prévue pour la rembourser, et la dette des comptes publics de l’état. La dette des particuliers et des collectivités territoriales n’y figure pas et obéit aux obligations légales: amortir capital et agios. La particularité de la dette de l’état est qu’il ne paie que les agios, réempruntant quand il doit rembourser le capital, donc la dette d’état n’est jamais amortie, ce qui est contraire à la loi sur le crédit l’état ne faisant que des crédits relais ce qui constitue de la cavalerie (emprunter pour rembourser un credit). La BCE à arrêté ses rachats de dettes car les pays du Nord ne veulent pas payer pour ceux du sud. La France n’a plus de réserves d’or, elle sont parties à la BCE. Quant à la balance des paiements, elle est négative depuis des décennies, la France vend son patrimoine pour équilibrer ses achats, mais aussi s’appauvrit en terme de revenus.
      La dette est une épée de Damocles sur le pays car elle met notre pays aux mains des fonds de pension anglo saxons. Un écart de 0,5% du taux c’est 1,65 milliards à payer en plus ou en moins chaque année.

  3. tatchou92 21/04/2024 / 21h01

    Devons nous penser et conclure que : »mal barré, nous envoie le bonjour » et que nous allons subir une nouvelle série de rigueurs ?

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