Sardou et sardines

Et une petite macronerie de plus : faire savoir que Michel Sardou va être décoré de l’ordre national du Mérite.

Tandis que le navire monde file droit sur l’iceberg de chaleur et de sang, voilà une annonce qui ne risque pas de modifier le cap, mais qui a son importance. Du moins pour celles qu’on appelle dans la presse « les féministes ». Elles se sont aussitôt jetées sur ce morceau de barbaque masculine, qu’on leur tendait comme au bout d’une pique.

Sacré Macron ! Il aurait voulu faire de ces sardines militantes, une fois de plus, des repoussoirs auprès du bon peuple, celui qui a grandi et vieillit avec Sardou depuis un demi-siècle, qu’il ne s’y serait pas pris autrement. Elles ont donc fait exactement ce qu’on attendait d’elles.

La vie politique, dans sa radicalité ordinaire, ressemble chaque jour un peu plus à un mauvais jeu de rôle. Pendant ce temps, la guerre gouvernementale aux pauvres et aux périphériques de toutes sortes continue, mais c’est une autre histoire, trop cruelle pour entrer au chausse-pied dans cette chronique.

On dit beaucoup que le macronisme est un groupe d’amateurs de salon, toujours plus à droite. Il me paraît plutôt à l’extrême centre : Le tout petit centre d’un cercle qui n’existe plus.

Un chanteur populaire est un ogre qui fait entrer dans sa caverne les vents des époques qu’il traverse. Sardou a maintenant 77 ans, comme la maladie d’amour. Celle qu’il a chantée… en 1973.

J’avais 10 ans. Elle court, elle court… et lui est toujours là, avec sa voix plaintive et agressive, son côté râleur récalcitrant, un quart anar, trois quarts réac, adossé au comptoir, douloureux et lourdingue, entre province et banlieue, posant sa patte d’eph sur l’air du temps.

Madeleine de la fin des Trente Glorieuses : ses paroles et ses mélodies couillues s’émiettent dans une mémoire tiède, un peu grise, Liée aux 45-tours.

Elle court, il court… mais, assez vite, le rock et le jazz lui ont, chez moi comme chez d’autres, coupé tes jarrets. À 13, 14 ans, mon oreille l’avait éjecté. Cependant, il continuait à teinter le papier peint, et il gardait du ressort dans la provocation.

En 1981, Claude Fléouter écrit dans Le Monde : « Voici plus de dix ans que Michel Sardou exprime la sensibilité d’un vaste public avec une foule de voix dans la gorge, tendres ou ironiques, mordantes ou folles de gaieté. Voici plus de dix ans qu’avec un appétit féroce, une incapacité à faire l’économie de ses passions, cet instinctif épouse les émotions de ce qu’on appelle le « grand public » sur les thèmes du quotidien (les villes de solitude, les rapports entre générations, les bals) ou de l’amour. »

Il ajoute : « Accessoirement, son goût de la bravade, de la provocation vaguement anarchiste, essentiellement individualiste, l’a poussé, dans les années 70, à refléter sans précaution dans quelques chansons, sur près de cent cinquante écrites et chantées, des sentiments exacerbés. D’où l’abus de mots dont il fut un moment la victime du fait de la réaction viscérale d’une partie de l’opinion ».

Cette partie de l’opinion cabrée, c’est alors moins la gauche, qui certes le déteste, que les bourgeois, les gens cultivés.

Pour cette chronique et par curiosité, je réécoute des chansons que je n’avais pas entendues depuis plus de quarante ans. Certaines pourraient réserver quelques surprises aux douaniers. Par exemple, J’accuse :

« J’accuse les hommes de salir les torrents
D’empoisonner le sable des enfants
De névroser l’âme des pauvres gens
De nécroser le fond des océans
J’accuse les hommes de violer les étoiles
 Pour faire bander le cap Canaveral
De se repaître de sexe et de sang
Pour oublier qu’ils sont des impuissants.»

La chanson date de 1976.

Sardou est-il écologiste, antipatriarcal, opportuniste ? Le ranger dans une case fermée à double tour serait méconnaître la nature liquide d’un chanteur aussi solide. Sardou s’adapte, mais il maintient. Un peu avant, en 1973, il chante Zombi Dupont, où l’esprit le plus raciste est soudain teinté d’anticolonialisme. Et, bien sûr, en 1981, il y a Être une femme :

« Dans un voyage en absurdie
Que je fais lorsque je m’ennuie
J’ai imaginé sans complexe
Qu’un matin, je changeais de sexe
Que je vivais l’étrange drame
D’être une femme. »

Sardou, transgenre ? Camionneurs, pas de panique : la suite est un mélange de clichés misogynes, de fantasmes sexuels… et d’angoisse masculine. Le chanteur renifle le monde qui vient, mais réaffirme ce qu’il est : un matamore blessé, râpeux, vulgaire, sentimental, énervé.


Philippe Lançon. Charlie Hebdo. 17/04/2024


Une réflexion sur “Sardou et sardines

  1. bernarddominik 20/04/2024 / 15h16

    Oui Sardou c’est un anarchiste de droite. Si si ça existe!

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