En marche… vers le passé !

En proposant des « prix planchers » pour garantir les revenus des paysans, Macron ressuscite la vieille politique agricole commune (PAC) de grand-papa de 1995 avec ses montagnes de beurre et ses océans de lait invendus.

Problème : l’Europe a évolué et a interdit tout retour en arrière. Alors, quelle mouche a piqué le Président, d’ordinaire moins rétrograde ?

L’affaire commence le 24 février à 8 heures lors de l’inauguration du Salon de l’agriculture, porte de Versailles, à Paris. Au 2ᵉ étage du grand hall du parc des expositions, Macron partage un petit déjeuner avec une dizaine de responsables agricoles. « Macron démission ! » vocifèrent des centaines d’agriculteurs qui encerclent le bâtiment. Classique.

Mais, brusquement, la rumeur enfle : les manifestants bousculent le service d’ordre, forcent les portes et se retrouvent… juste au-dessous de la salle où le chef de l’État est installé.

Conséquence : le bain de foule prévu dans le grand hall est annulé… et remplacé, vers 10 heures, par une réunion avec une vingtaine d’agriculteurs choisis par les syndicats.

« Macron, estime un haut fonctionnaire qui l’a longtemps côtoyé, est un narcissique. Toujours dans la séduction, il a horreur de déplaire. » Pour calmer le jeu, il annonce alors tout à trac l’instauration de « prix planchers pour garantir le revenu agricole ». Un revirement à 180 degrés de la politique suivie par le gouvernement ! Dans l’assistance, c’est la stupéfaction. Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA, principal syndicat agricole, confie qu’il est « atterré ».

Tête-à-queue agricole

Même surprise du côté de Jean-Luc Demarty, ex-directeur général de l’Agriculture à Bruxelles : « Les prix planchers sont aujourd’hui doublement illégaux en droit européen. D’une part, le marché unique interdit qu’un pays fixe unilatéralement ses prix. D’autre part, le droit de la concurrence sanctionne les ententes tarifaires entre producteurs. Des dizaines de groupes industriels sont condamnés chaque année pour de telles ententes, qui faussent la concurrence. »

Pas facile non plus de fixer, comme l’aimerait Macron, des « prix planchers basés sur les coûts de production », car ceux-ci varient beaucoup en fonction de la région, de la productivité des entreprises, de leur mode d’exploitation, de la qualité du produit, etc.

Ainsi, selon l’interprofession laitière, le prix de revient du lait — celui qui permet au paysan de vivre de son travail et d’investir — était compris, en 2022, entre 56 et 69 centimes le litre en fonction de la région de production.

Autre question : si le prix plancher d’une production est fixé à un niveau supérieur au cours international, à qui les paysans français vont-ils la vendre ? La réponse, en 2015, a été claire. « Sous la pression du gouvernement, effrayé par les manifestations d’éleveurs frappés par la crise porcine, producteurs et acheteurs se sont mis d’accord en juillet sur un prix de 1,40 euro le kilo, raconte Nicolas-Jean Brehon, fonctionnaire à la commission des Affaires européennes du Sénat, qui a joué un rôle actif dans l’accord.

Mais, dans les autres pays, les prix baissaient. Les acheteurs français n’arrivaient plus à exporter leur viande, alors que leurs ventes baissaient en France du fait des importations massives de porc étranger. Un mois plus tard, les deux plus gros acheteurs se retiraient de l’accord. Résultat : en décembre, le kilo avait dégringolé de son prix plancher de 1,40 euro pour rejoindre le cours européen à 1,10 euro. » Belle preuve de l’efficacité de ces prix garantis !

Pas de quoi s’inquiéter, cependant, confie le ministère de l’Agriculture au « Canard » : « Les marchés se resserrent en Europe, et il n’y a plus de différence fondamentale sur les prix. Par ailleurs, les prix planchers seront calculés sur la base des exploitations compétitives. »

Et les autres, celles qui ont le plus de mal à se faire rémunérer leur travail ? « On les aidera à gagner en compétitivité, notamment via la planification écologique », répond le ministère. Ben voyons ! Quant aux exportations, « si le prix plancher, trop élevé, les entrave, on fera autrement ».

En résumé, cette réforme à la mode Macron est garantie… sauf si ça ne marche pas !

À croire que la promesse n’a été faite que pour voir les agriculteurs en colère rentrer chez eux pied au plancher.


Hervé Martin. Le Canard enchaîné. 06/03/2024


2 réflexions sur “En marche… vers le passé !

  1. bernarddominik 09/03/2024 / 8h45

    Réorienter la pac, non plus une prime à l’hectare, mais assurer un revenu minimum agricole ?

  2. tatchou92 10/03/2024 / 20h55

    Entre les terres mises en jachère, les productions qui restent sur les bras des agriculteurs, la PAC… ces derniers ne sont pas sortis de l’auberge, surtout lorsqu’ils sont contraints de s’endetter auprès de la banque dédiée..
    Allors oui, réfléchir à un revenu minimum pour Monsieur et Madame… les pensions ne sont pas lourdes.. souvent les intéressés cotisent au minimum.. je l’ai vu dans la famille de mon conjoint… et les enfants ne veulent plus prendre la succession.. Jean FERRAT avait raison… « ils quittent un à un le pays… »

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