Les pompiers ont un gros retard à l’allumage.

La lecture du dernier rapport de la Direction générale de la sécurité civile sur l’activité des services d’incendie et de secours file les chocottes. Ce document de 80 pages bourré de statistiques contient un chiffre qui réduit en cendres la réputation de nos soldats du feu : une fois alertés, il leur faut en moyenne un quart d’heure pour arriver sur le lieu d’un sinistre.

Non seulement ils mettent de plus en plus de temps à intervenir — en dix ans, le délai moyen s’est allongé de 2 minutes et 8 secondes —, mais en plus ils affichent la pire performance de toute l’Europe.

Leurs collègues allemands ou suédois, par exemple, portent secours à une personne en 8 minutes, et il leur en faut 2 de plus pour se rendre sur le site d’un incendie.

En France, il faut en moyenne patienter 14 minutes et 36 secondes avant de voir débarquer une ambulance, et 18 minutes et 31 secondes avant qu’un fourgon incendie se pointe. Pas très flamboyant…

Des stats qui flambent

Si on ne tient pas compte des deux unités militaires que sont les marins-pompiers de Marseille et les sapeurs-pompiers de Paris, ça sent encore plus le roussi ! Ainsi, le score moyen au sein des services départementaux d’incendie et de secours (Sdis) explose. Avec d’énormes disparités.

Dans la Creuse, le premier brancard des pompiers met en moyenne 20 minutes et 31 secondes pour arriver à destination.

Pour le camion-pompe, le record est détenu par les Bouches-du-Rhône : pas moins de 31 minutes et 12 secondes. D’ici là, prière de s’en remettre à la Bonne Mère !

Pourquoi nos soldats du feu sont-ils si longs à la détente ? Pour deux raisons. Le délai moyen de traitement de l’appel, qui est aujourd’hui de 2 minutes et 37 secondes dans les Sdis, a enflé de 30 secondes en dix ans.

En haut de l’échelle : l’Ardèche, où il faut patienter en moyenne 16 minutes et 33 secondes au bout du fil avant qu’un pompier décroche, précise la sécurité civile dans son rapport. Le téléphone a le temps de chauffer et la victime de refroidir…

Casernes en berne

Le temps de route a encore plus flambé. C’est la conséquence de la fermeture, en trente ans, de 3 957 centres de secours incendie — soit plus d’un tiers du parc.

Résultat : la surface couverte par chaque caserne n’a cessé de grossir, passant de 71,2 km2 dans les années 2000 à 102,9 km2 aujourd’hui.

Dans les départements les plus dégarnis en casernes, le temps de route grimpe mécaniquement. Dans l’Aveyron, un fourgon-pompe doit rouler en moyenne 24 minutes et 26 secondes avant d’arriver à destination. Y a pas le feu !

A force d’accumuler les fermetures, l’Hexagone compte cinq fois moins de casernes que l’Allemagne (6 283, contre 32 211). « Le gros problème est que, contrairement aux autres pays d’Europe, on n’a pas cru bon d’imposer par la loi un délai minimal d’intervention », explique un haut gradé de la sécurité civile.

Un arrêté datant de 1981 avait bien défini lesdits délais à 10 minutes en zone urbaine et à 20 en zone rurale, mais il a été supprimé en 1988 ! Depuis, chaque département fixe lui-même ses délais. Et les objectifs, à la discrétion des élus, restent purement indicatifs. La plupart des 101 conseils départementaux se contentent d’une formulation fumeuse :« Dans les meilleurs délais ». Rien qui oblige à y aller tout feu, tout flamme.

Sortez les extincteurs !

S’il y a le feu au lac, c’est aussi parce que les sapeurs-pompiers français ne sont pas assez nombreux : 31 pour 10 000 habitants, contre 130 en Allemagne, selon une note comparative produite par l’un des meilleurs spécialistes de la sécurité civile, le colonel Jean-François Schmauch.

Fâcheux, vu qu’au fil des ans nos pompiers sont devenus le couteau suisse des pouvoirs publics, corvéables à merci pour dégager le nid de guêpes ou aller chercher le chat blo­qué dans l’arbre — 721 interventions pour 10 000 habitants, contre 256 en moyenne pour leurs homologues européens. Pas étonnant que l’incendie couve dans les casernes.

Lors de la venue d’Emmanuel Macron le 28 novembre 2023 à Nantes, dix pompiers, qui réclamaient une hausse des effectifs, y sont allés au lance-flammes. Ils n’ont pas hésité à lancer des fumigènes contre le cortège présidentiel, ce qui leur vaut aujourd’hui une enquête disciplinaire.

L’effectif officiel de 254 800 sapeurs-pompiers, dont 78 % sont des volontaires — avec des pointes jusqu’à 95 % dans les Alpes-de-Haute-Provence —, ne vaut que sur le papier. « Il faut en soustraire au moins 20 000, compte tenu de la très faible disponibilité des pompiers volontaires, précise Sébastien Delavoux, représentant CGT des Sdis. Certains jours, un tiers des effectifs censés être présents manquent à l’appel ». Il arrive que, faute de troupes suffisantes, les camions ne puissent pas être armés.

On comprend pourquoi il faut laisser sonner le téléphone longtemps pour joindre les pompiers…


Odile Benyahia-Kouider et Christophe Labbé. Le Canard enchaîné. 31/01/2024


Une réflexion sur “Les pompiers ont un gros retard à l’allumage.

  1. tatchou92 04/02/2024 / 23h14

    Quand on lit cet article on comprend mieux, et on affiche un peu plus sa solidarité avec les soldats du feu ! un exemple vécu :
    -ma petite fille étudiante en stage au COJO à Saint Ouen, allait prendre le métro de bonne heure, un jour de décembre 2022, le portable à la main.. glisse sur une plaque de verglas, tombe, se blesse, est dans l’incapacité de se relever.. tel HS, comprend…
    – Heureusement un véhicule de la gendarmerie passe, voit la scène, s’arrête, 2 fonctionnaires descendent et appelent les secours… un véhicule de pompiers arrive avec une équipe qui évalue la situation, emmène ma petite fille aux urgences de Béclère, Hopital de l’AP-HP… distant de quelques kilomètres…. circulation importante, heureusement qu’ils ont la sirène..
    – la queue aux entrées… une infirmière urgentiste propose un transfert vers une clinique privée, vu l’attente probable de plusieurs heures.. refus de la môme de 22 ans et de ses sauveteurs qui doivent amener les patients dans l’établissement dédié… qui ont besoin de récupérer leur brancard.. ceux des urgences hospitalières étant tous occupés..
    – L’infirmière relève le nom de ma petite fille, et crie  » urgence R… »
    Par chance, une amie infirmière finissait sa garde de 24 heures dans ce service… entendant notre nom crie » lève ton bras, j’arrive ! » Alexandra renfile sa blouse, dégote un brancard libre à la maternité, revient 10 minutes plus tard, effectue le transfert de ma petite, aidée par les pompiers, qui récupèrent enfin leur matériel. il s’est passé plus de 3/4 d’heure entre leur arrivée et leur départ des urgences…
    – Aujourd’hui, je me demande encore, ce qui se serait passé si notre amie n’avait pas été présente et volontaire pour aider « ma princesse » en lui dégotant une attelle, en lui faisant passer les radios nécessaires montrées au chirurgien, qui était submergé de boulot et qui ne pouvait passer la voir avant 21 heures.. Elle est rentrée chez elle avec sa maman venue la récupérer avec les béquilles de son père, et qui l’a ramenée le lendemain, avec sa soeur inquiète, pour l’intervention sur la double fracture tibia/péroné, arrachement osseux et tendineux… « elle ne s’était pas loupée », comme on dit dans les Ardennes.
    – je crois me souvenir que ce soir là, il y avait plusieurs véhicules de secours qui faisaient la queue… et je tournais en rond dans la maison… Merci Alexandra.

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