Petits trafics diplomatiques à l’Unesco

Une candidate qui change de nationalité à chaque scrutin ; un milliardaire libanais qui fait la pluie et le beau temps ; un territoire exotique qui marchande ses postes d’ambassadeur… C’est une drôle de mixture qui se cuisine à l’Unesco pour tenter de faire élire, en novembre, une représentante de l’île caribéenne de Sainte-Lucie à la présidence de son comité exécutif — l’un des deux postes clés de l’Organisation des Na­tions unies pour l’éducation, la science et la culture, avec celui de la directrice générale, détenu aujourd’hui par la Française Audrey Azoulay.

Première curiosité : Vera El Khoury Lacoeuilhe, la candidate de Sainte-Lucie, était déjà en piste en 2017 pour la direction générale de l’Unesco, mais au nom… du Liban !

Ce tour de passe-passe planétaire a été orchestré par son mentor, l’homme d’affaires libano-nigérian Gilbert Chagoury.

Ce milliardaire trône à la tête du Chagoury Group, un immense conglomérat présent dans de nombreux domaines, à commencer par l’immobilier et les travaux publics. Il a fait fortune au Bénin, en Côte d’Ivoire et dans d’autres Etats de l’Ouest africain, et surtout au Nigeria, où son pote le dictateur Sani Abacha et ses successeurs lui ont assuré bénéfices et prospérité.

Ces excellentes affaires ont hélas valu à Chagoury quelques tracas judiciaires aux Etats-Unis, où il a dû s’acquitter d’une amende de 1,8 million de dollars pour financement illégal de campagne électorale en 2012, puis en Suisse, où le malheureux a été condamné pour blanchiment au profit de ses amis nigérians. Si on ne peut plus rendre service…

Protection reprochée

Pour mener son gentil bizness sans trop de casse, Cha­goury s’est payé un excellent blindage : il s’est offert le poste d’ambassadeur de Sainte-Lucie au siège parisien de l’Unesco ! Le deal, passé en 1995, est clair : en échange de la nationalité sainte-lucienne et d’un passeport diplomatique, l’homme d’affaires règle tous les frais de la représentation du petit Etat (salaires, locaux…).

En 2005, le milliardaire s’est offert une deuxième couche d’immunité en devenant ambassadeur de Sainte-Lucie auprès du Saint-Siège. Ses fonctions lui donnent le droit d’utiliser la valise diplomatique, et il dispose d’un compte auprès du très pieux Institut des œuvres de religion, la banque du Vatican, célèbre pour son opacité…

Amen ! Avec le propre fils de Gilbert Chagoury en numéro deux et Vera El Khoury La­coeuilhe en numéro trois, l’ambassade de Sainte-Lucie à l’Unesco est devenue, au fil des ans, une véritable affaire de famille.

Mais, en voulant, aujourd’hui, bombarder sa protégée à la présidence de la commission exécutive, Chagoury a peut-être eu les yeux plus gros que le ventre.

La diplomate libano-sainte-lucienne va devoir, en effet, affronter la candidature concurrente de Haïti et, surtout, celle de l’Argentine, qui béné­ficie du soutien du gouvernement français.

Pas sûr qu’il lui suffise d’acheter quelques ambassa­deurs pour l’emporter…


Hervé Liffran : le Canard enchaîné. 25/10/2023


2 réflexions sur “Petits trafics diplomatiques à l’Unesco

  1. Bernard 31/10/2023 / 17h47

    Magouilles et corruption à tous les étages.

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