Ce qui nous interpelle

« Tiens, ramasse tes couilles, enculé ! » Un policier vient de tirer au LBD sur un manifestant…

Alors que la scène fait le tour des réseaux, les journalistes de BFMTV s’émeuvent. « Quand on chante « Louis XVI, on l’a décapité, Macron, on peut recommencer », c’est des appels au meurtre ». « C’est pas du folklore, c’est des appels à la violence intolérables ». « On voit des guillotines, c’est très inquiétant. Ça fait penser aux Gilets jaunes, y avait des têtes sur des piques, des scènes terribles où tout avait dérapé » Des effigies en carton avaient succombé dans d’atroces souffrances. Sur CNews, on disserte sur le profil des émeutiers. Un syndicaliste policier : « C’est des étudiants qui font socio, psycho, des intermittents du spectacle. — Y a des absents, les casseurs venus de banlieue, regrette Élisabeth Lévy. — Ce sont des gauchistes, des antifas qui ont des méthodes de fascistes », assure Alexandre Devecchio, fustigeant « la peste rouge ».

Un policier affirme sur BFMTV : « Sur les interpellés qu’on a faits samedi soir, y a beaucoup de gens fichés S. » Des terroristes ? Pourtant, sur les 292 gardés à vue du samedi, «283 sont ressortis libres le lendemain sans aucune charge », relève un journaliste. BFMTV interroge : « Interpellations, la politique du chiffre ? » Mais les bandeaux affichent chaque soir le compteur des arrestations fourni par les autorités. Mêmes litanies dans les JT de TF1 et France 2 : «310 personnes interpellées en France, dont 258 à Paris », «169 personnes interpellées hier soir, 122 rien qu’à Paris ». Gérald Darmanin claironne : « Être dans une manifestation non déclarée est un délit et mérité une interpellation. » Selon le droit, doit rappeler Amnesty International, « les manifestants pacifiques participant à des rassemblements non déclarés ne commettent aucun délit ». Mais les policiers obéissent à leur ministre : « C’est des attroupements interdits donc, et on peut interpeller », soutient l’un sur BFMTV. Un autre, sur France 2 : « C’est notre boulot d’interpeller quand on constate des infractions. » Et quand on n’en constate pas.

Dans les JT, « scènes de tension », « violents heurts », « actions violentes » sont invariablement imputés aux manifestants, justifiant que « la police tire des gaz lacrymogènes ». BFMTV filme sous deux angles une poubelle en feu et di­vise l’écran : le brasier redouble. Aurélie Casse prétend : « Les manifestants ont brûlé pas mal de voitures »

En fait, c’est la même qui brûle en boucle toute la soirée. Le 23 mars, Jérôme Godefroy, ancien d’Europe 1 et habitant de la place de la République, écrit sur Twitter : « Il y a un énorme problème dans la couverture des manifs par les chaînes d’info.je vois passer sous mes fenêtres depuis trois heures un énorme cortège compact très calme. Sur BFMTV, CNews et LCI, je ne vois que des incidents violents isolés et les black blocs ». Les chouchous de Dominique Rizet, expert de BFMTV : « Ce sont des personnes qui portent des capuches » Il faudrait interdire les capuches. « C’est difficile de les identifier, et puis des avocats vont les défendre » Il faudrait supprimer les avocats.

La chaîne info diffuse le laïus du ministre de l’Intérieur, un bandeau relaie illico : « Des casseurs veulent tuer des policiers. » « Gérald Darmanin parle de 149 policiers blessés victimes de jets d’acide, de pavés, de cocktails Molotov. » Peu importe si les statistiques incluent aussi ceux qui se sont foulé le poignet à force de cogner les manifestants. Aurélie Casse évoque « des actes commis par les forces de l’ordre », Dominique Rizet élude : « Je sais pas dans quel contexte ça se passe ». « Les vidéos sont très courtes, appuie Frédéric Péchenard, ancien patron de la Police nationale. On ne les met pas dans le contexte. Souvent, on a affaire à des provocations. » Qui justifient des tabassages. L’expert précise : « Quand vous participez à une manifestation, y a toujours un risque, c’est comme ça. » « Si vous voulez rester en vie, rentrez chez vous ! » rugit un CRS dans une vidéo jamais vue à la télé. « À Rouen, une manifestante a perdu son pouce, informe Aurélie Casse. — Oui, convient Dominique Rizet, un pouce arraché par une grenade de désencerclement. Dans quelle circonstance, on l’ignore. Est-ce qu’elle l’a ramassée ? » Si elle est mutilée, c’est qu’elle l’a cherché


Samuel Gontier. Télérama . N°3820 – 01-07/04/2023. Rubrique « Ma vie au poste »


2 réflexions sur “Ce qui nous interpelle

  1. bernarddominik 29/03/2023 / 8h31

    Il ne faut pas entrer dans le jeu de Darmanin qui veut confondre ce qui se passe à Sainte Solline et à Paris. Les casseurs doivent être condamnés et s’ils sont encapuchonnés c’est une préméditation donc un fait aggravant.

    • Libres jugements 29/03/2023 / 10h34

      Bien vu Bernard, la confusion est effectivement voulue… et peut-être même orchestrée en sous-main.
      Personne ne me fera croire que le ministère de l’Intérieur n’a pas les adresses des organisateurs des « Black blocs » et autres « écolos activistes ». Alors pourquoi ne pas leur interdire l’accès lors des manifestations si ce n’est pour laisser faire le bordel afin de pouvoir dénigrer les revendications et ceux qui les portent.
      Amitiés
      Michel

Les commentaires sont fermés.