Les pensées de Santiago Amigorena

Ecrivain argentin installé à Paris, il donne sa vision de la France, l’état qui l’a accueilli ! Chacune-chacun pourra disserter sur sa façon de voir-percevoir l’état français et la place qu’il a dans le monde. Est-il dans le faux, dans le vrai ? MC

Pour son malheur et pour son bonheur, il lui a fallu faire le deuil des espoirs de 1789

La France a perdu sa puissance et son importance à partir du début du XIXe siècle. Pour son malheur et pour son bonheur, il lui a fallu faire le deuil des espoirs de 1789, puis de la folie des grandeurs napoléoniennes. Mais, en même temps, c’est le souvenir de ces déceptions – car seules les blessures marquent à jamais la mémoire – qui a, ensuite, permis la Commune, Blanqui, Hugo, Rimbaud, ainsi que Mallarmé, Valéry et Proust, ou encore la Belle Epoque et les années 1920.

L’autre grande puissance impériale européenne, l’Espagne, a connu une destinée semblable. L’Angleterre, de son côté, a réussi à entretenir l’illusion du Commonwealth un peu plus longtemps, jusqu’en 1917. Et l’Italie, petit pays depuis presque deux mille ans, a continué, tout au long du XIXe puis du XXe siècle, de vivre avec simplicité – et majesté – son interminable déclin.

Mais aucun pays, comme la France, n’a autant résisté, autant lutté, pour maintenir l’illusion de sa grandeur passée.

Aujourd’hui, la France est un petit pays. Peut-être le plus petit de tous ces grands pays européens. Ce n’est, bien sûr, pas seulement de sa faute. Elle subit, encore plus que la déception de 1789 et l’échec de Napoléon, les effets de ce mensonge qui a fait d’elle un vainqueur de la Seconde Guerre mondiale.

Ceux qui n’avaient pas collaboré, c’est-à-dire l’Angleterre, la Russie et les Etats-Unis, ont choisi la France

Lorsque Churchill a eu l’idée saugrenue qu’il fallait une “grande puissance” sur le continent afin de contenir l’hypothétique renaissance de l’Allemagne, comme il n’y avait pas beaucoup de candidats (l’Espagne, l’Italie, l’Autriche et la Pologne étaient hors concours, la Belgique, le Luxembourg ou les Pays-Bas ne faisaient pas le poids, le Portugal et la Grèce étaient trop éloignés, les futurs Etats satellites de l’URSS et les Etats nordiques ne comptaient pas, et, pitié, ne parlons pas de la Suisse), les vraies grandes puissances de l’époque, les vrais vainqueurs de la guerre, ceux qui n’avaient pas été conquis, ceux qui n’avaient pas collaboré, c’est-à-dire l’Angleterre, la Russie et les Etats-Unis, ont choisi la France.

La France, à partir de 1945, se prenant pour la grande puissance qu’elle avait depuis longtemps cessé d’être, est devenue le petit pays dans lequel je vis. Et c’est ce pays, petit depuis si longtemps, qu’à présent son président s’efforce de rendre plus petit encore.

Macron s’y efforce avec un acharnement dont Sarkozy lui-même n’avait pas fait preuve (malgré la mémorable transformation des jardins de l’Elysée en camping afin que le colonel Kadhafi puisse y planter sa tente ou sa non moins mémorable conférence de presse après que Poutine l’avait grondé). Pour Macron, comme pour ces enfants qui, au sortir de la maternelle, entrent pour la première fois dans la cour des grands, ce qui compte n’est pas d’être grand, mais simplement de montrer qu’on peut être l’ami des grands.

“Donald Trump a compris le sens de ma démarche, notamment le lien qui existe entre réchauffement climatique et terrorisme.”

Il y a beaucoup de perles dans les mots que Macron a eus, depuis sa prise de fonctions, à propos de sa relation avec Trump. Mais c’est sa dernière visite aux Etats-Unis qui donne la vraie mesure, minuscule, de son ambition

Mais c’est sa dernière visite aux Etats-Unis qui donne la vraie mesure, minuscule, de son ambition. Cette visite avait pour principal objectif, on ne l’a que trop souligné, de convaincre le président américain de ne pas se retirer de l’accord sur le nucléaire iranien. L’échec a été si total qu’il a permis à Trump de convaincre Macron de la nécessité d’un nouvel accord.

Et lorsque Trump, ce personnage hautement dangereux, a montré à la planète entière à quel point notre président était insignifiant, à quel point la France qu’il représente est insignifiante, Macron n’a trouvé de meilleure stratégie que de se ruer chez l’autre grand, l’autre grand dont il estime tant la grandeur – Vladimir Poutine.

Mais ne jetons pas la pierre seulement sur notre petit président. Malheureusement, depuis au moins une soixantaine d’années, ce n’est pas uniquement la France mais l’Europe qui, en vain, se cherche une agonie digne de son passé.

Emil Michel Cioran. écrivait alors, déjà, qu’après tout ce continent n’a peut-être pas joué sa dernière carte. S’il se mettait à démoraliser le reste du monde, à y répandre ses relents ? – ce serait pour lui une manière de conserver encore son prestige et d’exercer son rayonnement.

Mais quelle tristesse, n’est-ce pas, de voir de grandes nations mendier un supplément d’avenir…


Lu dans les Inrocks – Titre original « Petit Pays » – Source (extrait)


 

Une réflexion sur “Les pensées de Santiago Amigorena

  1. bernarddominik 18/06/2018 / 9h06

    Il ne faut pas croire que parce que Sarkozy ou Macron sont mégalomanes les français se fassent des illusions sur la petitesse de la France. On peut être petit et heureux de l’être. C’est notre constitution qui a brisé la démocratie des précédentes en créant un surhomme, le président, avec tous cet or de l’Elysée et ses démontrations ringardes de la garde républicaine, qui donne une impression de grandeur et de richesse que notre pays n’a plus. Je crois que les français rêvent de la simplicité des ministres suédois ou finlandais. D’un président qui à un concert aie la même place que tout le monde (comme Merkel à la philarmonie de Berlin). Qu’avons nous fait pour que nos politiques se prennent pour Napoléon? Des Bokassa-Macron voilà ce que nous avons. Hélas

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