L’UE arrive à un tournant de son histoire

Pour Peter Wahl, la crise grecque témoigne d’un déclin de l’Union européenne, laquelle doit se tourner davantage vers le monde.

Personne ne sait comment la confrontation entre la Grèce et les dix-sept autres pays de l’Eurogroupe finira. […] Quelle que soit la suite des événements, les dommages sont déjà irréversibles. Par rapport aux problèmes considérables auxquels l’UE est confrontée, la question grecque semble presque la plus facile à gérer. À y regarder de plus près, on peut voir un jeu de puissance brutale et de chantage de la part du néolibéral Goliath contre le David grec. Goliath ne peut pas admettre qu’un pays dont la population est épuisée et déprimée par cinq années d’échec de gestion de la crise puisse avoir droit à l’autodétermination démocratique […].

Jeroen Dijsselbloem, ministre néerlandais des Finances et président de l’Eurogroupe, a qualifié la décision grecque [d’organiser un référendum, NDLR] de « déloyale », après que la Grèce a refusé de gober l’ultimatum qu’il avait proposé. […] Les élites eurocratiques ont l’habitude de prendre des décisions historiques sans consulter le pouvoir souverain ni les citoyens. Ainsi, le traité de Lisbonne ou les mesures de grande ampleur dans la gestion de crise depuis 2008 ont été mis en œuvre dans une urgence permanente. Ceux qui espèrent depuis vingt-cinq ans une UE sociale et démocratique devraient maintenant être définitivement éclairés par l’expérience grecque. L’information politique fournie par l’Eurogroupe est très opaque. Les seuls documents publiés sont toujours biaisés, tandis que la position grecque n’y apparaît guère. Martin Schulz, président du Parlement européen, a déclaré que les institutions avaient renoncé à augmenter la TVA grecque : c’est tout simplement faux. Tout ce drame est un indice supplémentaire de ce que l’UE arrive à un tournant de son histoire. Trop de problèmes en suspens, à commencer par la monnaie. Économiquement, c’est un contresens d’avoir une monnaie commune dans un groupe aussi hétérogène d’économies et sans État fédérateur unique. La crise économique et l’échec de sa gestion accroissent encore les asymétries. « Quel est le numéro de téléphone de l’UE ? », disait Henry Kissinger. Ni celui de Juncker ni celui de Tusk, mais bel et bien celui de Merkel.

Les crises des sept dernières années ont servi de catalyseur pour l’établissement d’une hégémonie allemande. Le problème, cependant, est que trop de gens et certains gouvernements se souviennent encore que la traduction en allemand du mot leader est führer. Certes, l’Allemagne contemporaine ne peut être comparée à l’époque où l’Europe a été intégrée sous leadership allemand de l’Atlantique à Stalingrad, mais la crise actuelle a montré la facilité avec laquelle les spectres du passé peuvent être mobilisés. L’Union européenne décline. Et ce déclin ne sera pas freiné par l’appel de Juncker, Tusk, Schulz, Dijsselbloem et Draghi à un bond en avant dans l’intégration de la zone euro. Ce plan ne fonctionnera pas, car la plupart des pays ne sont pas prêts à suivre cette voie. […] Nous avons besoin de moins de centralisation et de plus de diversité. Cela implique désintégration dans certains domaines, comme la monnaie commune, et intégration dans d’autres, pour les énergies renouvelables par exemple. L’ouverture sur le monde pourrait constituer à tisser des liens plus étroits avec le Maghreb et la Turquie, ou à reprendre l’idée d’un espace économique de Vladivostok à Lisbonne, comme suggéré dans l’accord Minsk II. Nous avons besoin de réalisme plutôt que d’euromanticisme !

Peter Wahl est économiste, membre du conseil scientifique d’Attac – Allemagne, président de l’ONG Weed. Article paru dans Politis n° 1361