Les assureurs regardent ailleurs

« Les lieux meurent comme les hommes, quoiqu’ils paraissent subsister »,
avait remarqué le moraliste Joseph Joubert il y a deux siècles.

Il ne croyait pas si bien dire. Début avril, on a pu voir des cartes représentant la France en 2028, puis 2050, puis 2100. Plus on avance dans le temps, plus les zones littorales atlantiques et méditerranéennes sont gagnées par une affreuse couleur rouge : celle qui signale les lieux où des habitations seront rayées de la carte par l’érosion des côtes.

À la fin du siècle, 450 000 logements, 10 000 écoles et bâtiments publics, 55 000 bâtiments professionnels…

Va falloir s’adapter, comme dit l’autre. Et ceux qui se sont déjà adaptés, ce sont les assureurs.

Leur boulot consistant à voir un peu plus loin que leur petit doigt, et bien plus loin que les politiques, ils se sont mis à fuir les zones les plus sensibles. Plus question de couvrir les risques dans les communes menacées par la montée des eaux, comme Les Sables-d’Olonne. Ou celles touchées par les inondations, comme dans le Pas-de-Calais. Ou celles touchées par le gonflement des argiles qui fissure les habitations (pas moins de 10 millions concernées !).

Dans les zones rurales, certaines communes subissent la triple peine : inondations, maisons fissurées et récoltes mises à mal par les grêles et les canicules. Pas moins de 1 500 municipalités sont ainsi lâchées par les assureurs. Ce n’est qu’un début…

À la demande du gouvernement, des experts ont rendu un rapport dans lequel ils préconisent de diviser la France en trois zones, rouge, orange, verte, en fonction des risques, et de pénaliser les assureurs qui fuient les zones rouges.

Pour faire avaler la pilule à ces derniers, l’État les autoriserait à augmenter les primes et les franchises de ceux qui possèdent des résidences secondaires dans ces zones rouges, et à obliger les proprios à faire des travaux de prévention. Aaaaaargh, le retour de l’écologie punitive

Curieusement, ce rapport omet un petit détail : la sixième extinction massive, qui n’en est qu’à ses débuts. Laquelle n’est pas pure fantasme d’écolo, la preuve : Scor, l’un des principaux réassureurs mondiaux, lui avait consacré voilà quelques années un fort instructif petit livre réalisé en partenariat avec le Muséum national d’histoire naturelle (1).

Le message principal tenait dans son sous-titre : « Comment l’extinction du vivant met en péril nos sociétés ».

On pouvait notamment y découvrir les deux principaux risques dus à l’effondrement du vivant : la chute de la pollinisation (« 45 % des principaux types de cultures alimentaires en bénéficient ») et celle de la productivité agricole due à la dégradation organique des sols (elle a « diminué sur 23 % des zones terrestres »).

La base de leur métier étant que, pour être assurable, un risque doit être mesurable, ces réassureurs s’inquiétaient : la perte de biodiversité est un « saut dans l’inconnu ». Comme elle n’est pas chiffrable, on n’en parle pas.


Jean-Luc Porquet. Le Canard enchaîné. 24/04/2024


(1) « Des risques grandeur nature », Le Pommier, 2021.


2 réflexions sur “Les assureurs regardent ailleurs

  1. bernarddominik 30/04/2024 / 12h27

    La protection du littoral s’est heurtée à la spéculation immobilière. L’état à laissé les municipalités donner des permis de construire à tout va en négligeant leurs centres villes. Et maintenant il faut payer l’addition.

  2. tatchou92 30/04/2024 / 21h53

    Etles habitations construites sur les falaises de Normandie, qui bénéficiaient d’un beau panorama, voient celles-ci s’effondrer et menacer leurs biens… Je pense à des amis partis en retraite à LA FAUTE SUR MER, dans un lotissement euf…heureusement qu’il y avait un étage..

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