Les classes vertes

Une avancée scolaire qui périclite…

Les élèves partent moins souvent, moins longtemps et aussi moins loin en classe de découverte… Malgré la volonté affichée de relancer le dispositif ces séjours au grand air font aujourd’hui figure d’exceptions. Que s’est-il donc passé ?


Un ancien moulin rénové, une rivière à truites, un jardin en permaculture, des chevaux et des moutons, un atelier de poterie… Propriété de la ville de Saint-Denis (93), ce centre de vacances implanté à Daglan, en Dordogne, dans un écrin de verdure, porte la trace d’une époque bénie. Celle où les municipalités n’avaient pas encore cédé leur patrimoine immobilier, lequel permettait d’envoyer chaque année toute une cohorte d’élèves à la montagne, à la mer ou à la campagne.

« Dans les années 1960, mon père, alors en CM1, était parti un mois en classe de neige à Megève, dans un chalet qui appartenait à la ville. Tous les petits Dionysiens partaient au moins une fois en classe de découverte dans leur scolarité », soupire Baptiste Ricciardi, professeur des écoles. Qui mesure la distance avec aujourd’hui… et la chance qu’ont ses élèves de CP qui vont passer cinq jours, avec des camarades de CM1-CM2, au moulin de Daglan. Un lieu situé dans la vallée du Céou, en plein Périgord noir, qu’il connaît déjà pour y avoir emmené une première fois sa classe juste avant le Covid.

« Le directeur du centre, qui réside sur place, est un ancien enseignant qui a mis au point des activités sur le Moyen Âge. Il a construit des trébuchets et des catapultes, et les enfants rejouent la guerre de CentAns en se jetant des balles en mousse… » Sauf que cette année, ça passe ou ça casse. « On est dans la phase de négociation pour convaincre les familles de nous confier leur, enfant car, de plus en plus, les inspections de l’Éducation nationale demandent que tous les enfants partent, ou aucun. »

Il croise les doigts pour réussir à faire mieux qu’en 2019. « À l’époque, nous avions dû laisser plusieurs élèves sur le carreau, et on a entendu des choses comme « ma fille ne sait pas se brosser lescheveux toute seule ». Nous partons pour que les gamins gagnent en autonomie et, en face, des parents nous disent que leur enfant n’est pas assez autonome… »

Aujourd’hui, les élèves partent moins souvent, moins longtemps, mais aussi moins loin… Ce passage autrefois obligé est maintenant considéré comme un petit bonus, voire un luxe. Au point que certains tirent la sonnette d’alarme, à l’image de la députée Émile Bonnivard (Les Républicains), qui a fait adopter en première lecture à l’Assemblée nationale, le 1er février, une proposition de loi « visant à relancer l’organisation des classes de découverte ».

Ces voyages scolaires ont « drastiquement baissé », a déploré l’élue, qui veut créer un fonds d’aide de l’État de trois millions d’euros pour les séjours supérieurs à deux nuitées dans le premier degré, et une indemnité de 1250 euros pour valoriser l’investissement d’enseignants — actuellement bénévoles — qui partent plus de trois nuits hors du département.

Une circulaire du 13 juin 2023 avait déjà donné le la : «Tout élève, quel que soit son milieu social d’origine, doit pouvoir bénéficier d’au moins un voyage scolaire au cours de sa scolarité obligatoire», et invitait les écoles et établissements à «encourager l’organisation de ces séjours».

En 2022-2023, environ trente mille séjours ont été organisés, lesquels ont concerné plus d’un million d’élèves, premier et second degrés confondus. Pas tout à fait le niveau d’avant le Covid, mais presque : « On a encore 10 % de classes de découverte en moins par rapport à 2019 », estime Franck Présumey, délégué général de la Ligue de l’enseignement, qui organise des séjours éducatifs. Mais la chute précède de loin le choc du Covid.

L’inquiétude pointait déjà, en 2005, dans le rapport parlementaire de la députée Béatrice Pavy : « Si donc les classes de découverte régressent, inquiètent et dépérissent peut-être, ce n’estpaslefait de ceux quiles connaissent. Au contraire, ceux-là en sont les défenseurs enthousiastes ; ils résistent, encore et toujours, aux circulaires, aux avis décourageants et aux caractères anxieux ou défaitistes. Mais ils ne sont plus assez nombreux, et n’arrivent plus à faire partager leur passion. Les classes de découverte sont méconnues, les départs dramatisés, alors qu’une richesse immense attend ceux qui prendront l’initiative d’emmener leurs élèves ailleur ».

De fait, si la moitié des écoliers partait au moins une fois en classe de découverte au milieu des années 1980, dix ans plus tard, le ratio n’est déjà plus que d’un sur dix. « Les premières classes de neige ne pouvaient obtenir cette étiquette si le séjour était inférieur à trois semaines, alors qu’aujourd’hui deux nuitées suffisent », complète Julien Fuchs, professeur en sciences du sport à l’Université de Bretagne-Occidentale.

Que s’est-il donc passé pour que tout bascule, alors que le dispositif semblait sur de bons rails ? Son succès n’avait en effet cessé de croître depuis que Max Fourestier, un médecin scolaire de Vanves, avait décidé, en 1953, d’envoyer trente-deux enfants de la ville dans un chalet de la Fédéra­tion des oeuvres laïques de Savoie, sur le domaine de la Féclaz, dans le massif des Bauges.

La montagne devient ainsi une terre d’accueil privilégiée pour ces « classes transplantées », qui répondent au début à un souci hygiéniste : cours le matin, activités sportives l’après-midi. Puis vient le temps des clàsses vertes et des classes de mer, lors desquelles «il est moins question de santé publique que d’éducation à l’envi­ronnement marin des petits citadins », avance Julien Fuchs.

Leur reconnaissance officielle, en 1971, dans une première circulaire de l’Éducation nationale, permet que ces expériences portées par des enseignants volontaires et motivés soient désormais soutenues financièrement.

Elles se diffusent à grande échelle au début des années 198o grâce au coup de pouce d’Alain Savary, ministre socialiste de l’Éducation nationale, qui met en place une réglementation incitative et accorde des agréments à des centres achetés par des villes, communistes pour beaucoup. Le nombre d’élèves qui partent s’envole : cinquante et un mille en 1967, ils sont trois cent cinquante mille en 1982.

Mais deux tragiques accidents jettent un froid. Le 4 décembre 1995, des élèves de CE1 d’une école privée de Grenoble, alors en classe verte et partis observer les castors dans le lit du Drac, sont emportés par une montée des eaux. Des techniciens d’EDF ont ouvert les vannes du barrage situé en amont, provoquant la mort de six enfants et d’une accompagnatrice. Le 23 janvier 1998, neuf collégiens, un professeur de mathématiques et un guide de l’UCPA perdent la vie dans une avalanche près des Orres, alors qu’ils réalisaient une randonnée en raquettes dans le cadre d’une classe de neige.

Dès lors, la sécurité devient la priorité numéro un de l’institution. Pour éviter que de telles catastrophes se reproduisent, des règles de bon sens s’imposent… et freinent les ardeurs des parents, qui «se sont mis à avoir très peur d’un accident de la route ou d’une chute dans les rochers », affirme Guislaine David, secrétaire générale du SNUipp-FSU. Une peur qu’elle a vue grandir en vingt-huit ans d’enseignement.

Pas seulement celle de l’accident, mais parfois juste du départ. « J’ai organisé beaucoup de classes de mer et, à la fin, il fallait vraiment se battre pour convaincre les parents de se séparer de leur enfant », assure-t-elle.

Désormais confrontés à des lourdeurs administratives, à une flambée des coûts et à un risque engageant leur reponsabilité, les enseignants bénévoles se montrent eux aussi plus réticents. D’autant que, faute d’animateurs formés pour leur prêter main-forte, ils sont en général très seuls. « Trouver un collègue partant est presque aussi dur que de convaincre les parents !

Très peu sont volontaires car c’est du travail gratuit, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Si un gamin se réveille en pleine nuit parce qu’il a une crise de panique, c’est à nous de nous en occuper », témoigne Baptiste Ricciardi. En cause : des budgets trop serrés, qui mettent les organisateurs dans une situation délicate, selon Louise Paternoster, elle aussi enseignante à Saint-Denis et cosecrétaire de la CGT Éduc’action 93 : « On est parfois obligés de demander à des parents s’ils veulent bien nous accompagner, pour avoir un encadrement suffisant. Et ce n’est pas un fonds de 3 millions qui va changer la donne, ça ne fait même pas 25 centimes par élève ! »

Au-delà de l’aspect financier, pour Anne Carayon, directrice générale de Jeunesse au plein air, une confédération d’ceuvres laïques, ces réticences sont aussi liées à un changement de culture chez les enseignants : « Les anciennes générations avaient connu, dans leur enfance, les colonies de vacances, et elles avaient été formées à l’animation dans les écoles normales ». Et, du temps des IUFM, il allait de soi que des cours soient consacrés à la découverte des acteurs des mouvements de l’éducation populaire, qui venaient présenter leurs actions aux futurs profs.

Une époque révolue. Surf, canoë, kayak, paddle, grimpe, Optimist… Moins ambitieux sur le plan éducatif, les séjours clés en main gagnent du terrain. « Aujourd’hui, on a deux types de séjours. Ceux où les élèves s’initient à l’environnement marin par la pêche à pied, les découvertes culturelles, ou ceux qui proposent des stages de voile. De même que l’objecte d’une classe de neige, c’est désormais davantage d’apprendre le ski que de connaître l’environnement montagnard », pointe Julien Fuchs.

« On assiste à un mouvement de marchandisation : les voyages scolairespermettent à des centres privés qui accueillent des touristes pendant les vacances, comme ceux de l’UCPA, de continuer à fonctionner pendant le reste de l’année. »

Des classes de découverte nouvelle génération qui, parfois, n’en ont gardé que le nom


Marion Rousset. Télérama 17/04/2024.


2 réflexions sur “Les classes vertes

  1. rblaplume 23/04/2024 / 19h34

    C’est une analyse particulièrement pertinente que je partage ayant connu les séjours de trois semaines et/ou d’un ou plusieurs jours.

    Ce sont des séjours épuisants mais très importants pour le groupe classe : pour la socialisation des enfants, adolescent(e)s et jeunes gens dans les domaines des acquisitions scolaires et des savoirs-être.

    L’émancipation, par la découverte d’un environnement différent de la famille, du quartier, est une excellente chose, notamment pour les filles.

    Quelle que soit la terminologie envoyée, ces classes ne sont pas des colonies de vacances ni des séjours touristiques lors des voyages d’un ou plusieurs jours. Ce sont des séjours, des sorties dans un cadre scolaire de la maternelle aux classes terminales au sein d’un établissement d’enseignement. Les enseignant(e)s font un travail pour enrichir leurs enseignements dans l’intérêt de leurs élèves !

    De fait, la formation des Maîtres et leurs rémunérations financières pour ce type de classes de découvertes n’ont jamais été réellement prises en compte ni par l’Education nationale ni par les Collectivités territoriales.

    Les Parents d’élèves sous-estiment très souvent l’investissement personnel des enseignant(e)s que nécessite la réussite de ce type de séjour !

    De plus, les pesanteurs sociales et sociologiques voire politiques pèsent de plus en plus sur le personnel enseignant et les membres associés à ces classes.

    Le besoin continu de liaisons numériques entre les parents et le groupe classe entraîne des contraintes très difficiles à gérer. A cette nécessité impérieuse de rassurer, vingt-quatre heures sur vingt-quatre heures, toutes les parties (Institution scolaire, mairie, parents d’élèves, organisme d’accueil, prestataires divers, service médical, réseaux sociaux), les enseignants se doivent, dès le départ jusqu’au retour à l’établissement scolaire, de répondre administrativement et juridiquement, en continu, de la sécurité des élèves et éventuellement des personnes associées lors de ces classes d’environnement, vertes, de neige etc.

    Puis, le service post séjour commence, en termes de communications, envers les différents partenaires notamment les institutions. C’est très important pour la sérénité de l’année scolaire en cours notamment dans le 1er degré pour les classes et les établissements concernés.

    D’autre part, dans certaines villes la mixité, le régime alimentaire, la cohabitation de nationalités différentes et/ou de quartiers dans les établissements du premier degré ainsi que de collèges et lycées, lors d’un séjour même de quelques jours, peut susciter des polémiques, des questionnements particuliers.

    Il faut répondre de tout avec diplomatie et fermeté. Cet exercice se fait, très souvent, sans assistance de l’Institution scolaire. Je n’évoque même pas les questionnements posés lors d’un accident d’un élève ou d’un incident lors d’un séjour. Les médias et les réseaux sociaux prenant le relais, la situation devient tragique !

    Cet énorme travail de préparation pour convaincre les familles, parfois les élèves, les collègues et trouver des aides financières avant le départ effectif de cette activité éducative relève de l’exploit. Pendant et après un séjour, il faut assurer sans faiblir.

    Cette volonté de service l’École républicaine repose sur le bénévolat des Enseignants dont ne reconnaît pas suffisamment l’engagement en termes psychologique, professionnel et personnel.

    Il arrivait parfois, en début de carrière, partant trois semaines, que l’on vous gratifiait lors du départ du train ou du car d’un salut  » Bonnes vacances ».

    Je crois qu’aujourd’hui les situations contextualisées sont sûrement encore plus complexes pour employer des mots à la mode ! Je n’évoquerai pas le terme de laïcité. Ce renoncement ne se fait pas par facilité mais cela entraînerait un trop long chapitre.

    Tous mes encouragements et toutes mes félicitations de Citoyen pour ces fonctionnaires ou pas qui concourent au succès, aujourd’hui, de ce type de sorties ou voyages dits pédagogiques.

  2. tatchou92 23/04/2024 / 23h46

    Oui il faut encourager ces séjours qui permettent aux enfants de mieux se connaitre, et à ceux issus de milieux défavorisés de sortir, de voyager comme les autres.

    Beaucoup de municipalités ont hélas été amenées à se séparer de leurs centres de vacances, et maisons familiales pour des raisons économiques et d’entretien,.

    Ainsi ma ville a signé un partenariat avec d’autres, offrant plus de choix aux familles, et des rencontres entre enfants de différentes collectivités., Mais les séjours se font désormais, majoritairement à la semaine, pour les raisons évoquées ci dessus..

    Comme pour les classes de découvertes, la tarification se fait en fonction du quotient familial.. calculé selon les barêmes de la CAF, le reste à charge de la ville est important… mais c’est un bon choix politique !
    L’ensemble des familles en ont -elles conscience ? Les villes qui ne perçoivent plus le fruit de la taxe d’habitation pourront-elles continuer ces initiatives prisées par tous les participants et les équipes d’encadrants ?

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