Avant, je savais lire, maintenant, me voici illettré.
Autrefois, mon cerveau décodait les textes. Aujourd’hui, j’ai besoin d’une machine qui décrypte pour moi l’écriture ésotérique de la technique. Auparavant, je savais écrire. Désormais, me voici incapable de tracer les signes cabalistiques porteurs d’informations.
QR code, tu es produit par une machine et t’adresses à des machines. Dans ce réseau de communication entre ordinateurs, smartphones, applications et autres logiciels, je suis obligé de demander pour savoir. Mon téléphone portable, cette extension malheureusement obligatoire de mon cerveau, me traduit un langage auquel je ne serai jamais initié.
QR code, je sais que tu es sournoisement intelligent. Tu conçois un dessin qui fonctionne sur une moyenne, c’est-à-dire qui reste lisible par le décodeur lorsqu’il est mal imprimé, taché, approximatif, criblé de rayures, afin que le contrôleur de train ne m’impose pas une amende parce qu’une mouche a deposé son excrément sur ton circuit hermétique.
Ta logique interne, fondée sur des mathématiques de haut niveau, ne reste accessible qu’à des spécialistes boutonneux, rats de computers, génies adolescents qui doivent leur excellence à leur autisme ou leur refus du monde, et qui s’immergent jusqu’à l’ivresse dans les calculs impitoyables qui remplacent le réel par la numérisation.
QR code, je vois ta grimace partout, sur les posters, les étiquettes, les affiches, les pièces d’identité, comme le logo universel de notre société informatique.
Exclu de ton univers parce que je suis humain, me voici ramené à l’état d’animal, comme un cocker qui se sent douloureusement canin lorsqu’il contemple, impuissant, l’alphabet occulte du journal qu’il apporte le matin à son maître.
Depuis que tu existes, mon cerveau n’est plus bon qu’à regarder les arbres comme lorsque j’étais, dans une lointaine vie antérieure, chasseur-cueilleur. Sauf que ton monde innovant m’a privé également de nature, me ramenant à la situation d’animal domestique dénaturé, bref à ce fameux chien auquel je me sens désormais ressembler de plus en plus.
Je sens venir le moment où je n’aurai pas d’autre choix que d’accepter la métamorphose transhumaniste qui s’annonce, en concédant une puce dans mon cerveau afin de devenir, moi aussi, une machine capable de lire et d’écrire et d’accéder ainsi, à nouveau, à la sphère de l’information
En raison de cette transformation qui fera de moi un smartphone intégré, j’aurai consenti à perdre mon humanité afin de ne plus être une bête.
Animal ou machine, voilà désormais le seul choix que tu me laisses.
Bonne lecture de ce courrier puisque mon écriture, généreusement, ne t’est pas ésotérique.
Jean-Luc Coudray. Revue « Vigousse ». 08/09/2023
Merci à notre ami Dominique de nous avoir procuré cet article d’un hebdo suisse.
🥴
Le QR code, comme le code barre, est basé sur le binaire, il se décompose en petits carrés, noir c’est 1, blanc c’est 0. C’est comme un mini fichier mais qui encode une suite limitée de caractères ( mais bien supérieure au code barre d’où son intérêt ). Il y a 30 ans il ne servait qu’à certifier un document imprimé par ordinateur pour le rendre plus difficilement falsifiable (il reprenait des éléments clés du document, dates montants taux…), depuis il est plus largement utilisé, mais il n’a rien de mystérieux.