Départementalisation…

… un processus dans l’impasse !

Aux lacunes du modèle socio-économique de développement, qui tend à nourrir le sentiment d’une espérance trahie du fait des difficultés de la République à respecter ses promesses en matière d’égalité, s’ajoutent des interrogations profondes sur le devenir des « quatre vieilles » colonies (Guadeloupe, Guyane, Martinique et La Réunion) au sein de la République et sur leur rapport à l’État.

Des racines historiques profondes

Il convient de rappeler que la départementalisation – initialement et symboliquement dénommée « assimilation » avant que ce terme négativement connoté soit contesté et abandonné – plonge ses racines dans un lointain passé historique.

De manière significative, elle repose sur un quadruple principe, consubstantiel au modèle politico-administratif français : l’assimilation, la centralisation, l’universalisme et l’uniformisation.

La mise en œuvre de ces quatre principes aux Antilles, en Guyane et à La Réunion a fortement pesé sur le destin de ces anciennes colonies. Au point que le processus ainsi désigné n’a pas été simplement imposé à ces dernières : il se situe au point de jonction des pressions exercées par le pouvoir colonial et de revendications exprimées localement, distinguant ainsi les « quatre vieilles » colonies françaises de leurs homologues dans le monde ayant opté pour l’indépendance.

Ce processus de décolonisation, à la fois hétérodoxe et inachevé, s’inscrit très clairement dans le prolongement de l’émancipation de l’ordre esclavagiste largement vécue comme une incomplétude. En effet, la départementalisation est accueillie dans les « quatre vieilles » colonies comme le moyen d’échapper à un ordre colonial tendant à perpétuer les discriminations sociales et raciales contre les descendants d’esclaves. Elle vient couronner les revendications en faveur de l’égalité républicaine qui imprègnent fortement les sociétés locales après l’abolition de l’esclavage.

Forme hétérodoxe de décolonisation, la départementalisation, loin d’être un aboutissement, est avant tout un processus long et complexe. Elle ne saurait d’ailleurs se résumer à un simple réagencement institutionnel doublé d’une extension aux territoires, au demeurant souvent différée, des règles de droit commun. Et ce, même si la question statutaire et institutionnelle s’est imposée comme un enjeu majeur de la vie politico-administrative dans les différents territoires, révélant par là même l’essoufflement des dynamiques à l’œuvre.

De toute évidence, la départementalisation a induit des changements significatifs dans les « quatre vieilles », en interférant à tous les niveaux de leur organisation économique et sociale tout en nécessitant l’ajustement de dispositifs de politiques publiques fréquemment jugés inadaptés.

Après avoir été longtemps appréhendé à travers un cadre institutionnel – le département lui-même identifié au régime législatif de l’égalité – et considéré par beaucoup comme un horizon indépassable, le système mis en place paraît aujourd’hui essoufflé, du double point de vue socio-économique et politico-institutionnel.

Un modèle socio-économique à bout de souffle

Selon la formule d’un sénateur gaulliste datant de 1975, après avoir été « nettoyée », puis « récurée », la Martinique est « meublée » par le gouvernement (Georges Marie-Anne, « Propositions pour moderniser, développer et rééquilibrer la Martinique », Le Courrier du Parlement, n° 427, novembre 1975). Cette formule est emblématique d’une conception du développement inaugurée dans les années 1960 et rarement démentie depuis.

Des mesures de circonstance participent de cette orientation nouvelle qui vise à ériger les départements d’outre-mer en zones d’intervention sensible justiciables d’un traitement particulier aussi bien en matière de maintien de l’ordre que sur le plan socio-économique. […]

Il en résulte la multiplication de dispositifs d’action publique à partir des années 1960 sous la forme de loi de programme ou d’orientation dont l’effet principal est de stimuler la croissance économique à court terme tout en amplifiant les déséquilibres structurels.

Les corollaires sont connus : un chômage endémique s’établissant en 2021 entre 12,9 % (Martinique) et 18 % (La Réunion) se doublant de phénomènes de sous-emploi, de précarité et de pauvreté. D’où la part croissante des dépenses sociales dans le budget des collectivités territoriales.

Derrière ces constats connus se cachent les puissantes logiques matérielles et symboliques des politiques publiques à l’œuvre depuis plus de soixante ans. Celles-ci révèlent leur étonnante capacité à phagocyter les réformes institutionnelles pour s’imposer à l’ensemble des acteurs, quels que soient leurs univers d’appartenance.

De là découle un étonnant paradoxe : désormais plus aucun acteur n’ose se proclamer départementaliste, mais tout le monde semble communier autour de ces logiques en cultivant une sorte de réflexe conditionné consistant à ramener les changements nécessaires à leur unique dimension statutaire et institutionnelle. Le poids de ces logiques est systématiquement négligé ou occulté par une sorte de tropisme institutionnel.

Ces politiques publiques s’accommodent d’un phénomène non moins connu : la perpétuation des inégalités. Faut-il rappeler, en effet, que l’égalité sociale tant attendue a été proclamée seulement en 1996, soit cinquante ans après le vote de la loi du 19 mars 1946, que la loi du 28 février 2017 portait le titre symptomatique de « programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique » et qu’en 2023 les différents territoires en sont encore à négocier avec l’État des contrats de convergence et de transformation visant à les hisser au niveau de leurs homologues de l’hexagone dans le respect de leurs particularismes ?

En second lieu, des inégalités non moins visibles persistent au sein des sociétés locales. Selon les données de l’INSEE publiées en 2022, la grande pauvreté est cinq à quinze fois plus fréquente dans les départements d’outre-mer qu’en France métropolitaine. Elle y est aussi beaucoup plus intense.

[…]


Justin Daniel. Source (extraits)  « Cause commune n° 34 » mai/juin 2023. Lecture libre


Une réflexion sur “Départementalisation…

  1. bernarddominik 19/09/2023 / 19h02

    Ces îles et la Guyane ont droit à l’indépendance. Mayotte à été volée eux Comores. Il faut regarder la vérité en face: la France s’accroche à ses lambeaux de colonies, au nom de leur espace maritime. C’est du colonialisme.

Laisser un commentaire