La croix et la bannière

Expression

Voltaire expliquait ainsi l’origine des processions : « Les petits peuples furent très longtemps sans avoir de temples. Ils portaient leurs dieux dans des coffres, dans des tabernacles » […] C’est probablement de ces dieux portatifs que vint la coutume des processions, car il semble qu’on ne se serait pas avisé d’ôter un dieu de sa place, dans son temple, pour le promener dans la ville et cette violence eût pu paraître un sacrilège, si l’ancien usage de porter son dieu sur un chariot ou sur un brancard n’avait pas été dès longtemps établi (Essais sur les mœurs) ».

Il faut croire que nous avons définitivement coupé les ponts avec nos ancêtres nomades, car on ne voit plus beaucoup en France de ces longues processions de fidèles, conduites en grande pompe vers un sanctuaire de plein air, la croix en tête, par deux ou trois prêtres en habits étincelants, suivis d’enfants de choeur en tuniques, psalmodiant des cantiques sous un beau soleil de printemps.

Autre époque : les dieux sont installés !

Autrefois, ce cérémonial ne s’appliquait pas uniquement aux divinités en voyage, mais aussi aux grands de ce monde, particulièrement chatouilleux sur le chapitre de l’accueil et de la conduite. Les prélats, les hauts dignitaires de l’Eglise et de l’Etat ne consentaient à se déplacer qu’à la condition d’être reçus avec la même dignité que les sacrées reliques.

Il était d’usage de les accueillir aux portes des villes avec la croix, emblème spirituel, et aussi la bannière symbolisant le pouvoir temporel. « La bannière et le pavillon diffèrent du drapeau et de l’étendard par la façon dont l’étoffe est disposée — précise Gougenheim – l‘étoffe de la bannière est fixée par en haut de façon à tomber verticalement. Elle n’a plus rien de militaire et est surtout un emblème religieux, orné d’inscriptions et de figures. »

Un texte du XIVe siècle fait allusion à la coutume : « Jehan, le vigile de l’ascension notre Seigneur y portat un confanon ou bannière de l’église de Landricourt aux processions, et croix, en la compagnie du curé et des gens d’icelle ville. »

De là l’expression qui est restée : « On dit en ce sens qu’il faut avoir la croix & la bannière, la croix & l’eau bénite, pour avoir quelcun; pour dire qu’on a de la peine à en jouir », explique Furetière, sans arrière-pensée d’ailleurs. C’est que les anciens étaient tatillons sur le protocole !

Lorsque le cardinal de Richelieu traita du mariage d’Henriette de France et de Charles 1er avec les ambassadeurs d’Angleterre, l’affaire fut sur le point d’être rompue, pour deux ou trois pas de plus que les ambassadeurs exigeaient auprès d’une porte, et le cardinal se mit au lit pour trancher toute difficulté », raconte aussi Voltaire. Il ajoute : « A mesure que les pays sont barbares, ou que les cours sont faibles, le cérémonial est plus en vogue. »

Intéressante remarque.


Claude Duneton « La puce à l’oreille »