Trempé comme une soupe

L’expression actuelle est quelque peu éloignée de son origine…

Si l’on dit de celui qui ruisselle sous l’averse qu’il est trempé comme une soupe, c’est parce que, avant d’être un potage, la soupe était seulement une tranche de pain trempée dans du bouillon. « Soupe se dit aussi des tranches de pain fort déliées qu’on met au fond du plat, sur lesquelles on verse le bouillon. Donnez moi une soupe de pain, pour dire une tranche », dit Furetière, preuve que le mot était encore distinct à son époque, mais sur le point d’être définitivement confondu. Il ajoute : « Dans les gargottes pour un sou l’on trempe la soupe. »

Ce système de la mouillette était le seul au Moyen Age. On trempait aussi la « soupe » dans la sauce ou le jus de viande.

Dans Le Roman du comte d’Anjou, lorsque la pauvre pucelle au papa concupiscent, fuyant avec sa copine, se restaure chichement dans une chaumière, son amie affamée se résout à tremper un peu de mauvais pain dans l’eau :

Toutefois d’une piececte

De pain fist une soupelecte

En l’iaue et manjut a grant paine,

Car grant famine la demaine.

Au XVIe siècle c’est encore la tranche de pain trempée dans une sauce qui est le seul usage; on parle de « soupes de prime » — celles du premier déjeuner. Elles étaient grasses et passaient pour les délices des moines gourmands. Ainsi Panurge, ayant jeûné la veille, dit à frère Jan, dans le Tiers Livre de Rabelais :

« Mon stomach abboye de male faim comme un chien. Jectons luy force souppes de prime : plus me plaisent les souppes de levrier [avec viande], associées de quelque piece de laboureur sallé à neuf leçons [pièce de boeuf cuit longtemps]. »

Là, décidément, ça n’était plus de la soupe, mais du rata!


Claude Duneton. « La puce à l’oreille »