LE SEXE DES MOTS

Un avis tout personnel de J.F. Revel sur la féminisation des mots. Nous rappelons que c’est l’avis de l’auteur des lignes ci-dessous, et que son engagement le regarde. MC 

Byzance tomba aux mains des Turcs tout en discutant du sexe des anges.

Le français achèvera de se décomposer dans l’illettrisme pendant que nous discuterons du sexe des mots.

La querelle actuelle découle de ce fait très simple qu’il n’existe pas en français de genre neutre comme en possèdent le grec, le latin et l’allemand. D’où ce résultat que, chez nous, quantité de noms, de fonctions, métiers et titres, sémantiquement neutres, sont grammaticalement féminins ou masculins. Leur genre n’a rien à voir avec le sexe de la personne qu’ils concernent, laquelle peut être un homme.

Homme, d’ailleurs, s’emploie tantôt en valeur neutre, quand il signifie l’espèce humaine, tantôt en valeur masculine quand il désigne le mâle. Confondre les deux relève d’une incompétence qui condamne à l’embrouillamini sur la féminisation du vocabulaire. Un humain de sexe masculin peut fort bien être une recrue, une vedette, une canaille, une fripouille ou une andouille.

De sexe féminin, il lui arrive d’être un mannequin, un tyran ou un génie. Le respect de la personne humaine est-il réservé aux femmes, et celui des droits de l’homme aux hommes ?

Absurde!

Ces féminins et masculins sont purement grammaticaux, nullement sexuels.

Certains mots sont précédés d’articles féminins ou masculins sans que ces genres impliquent que les qualités, charges ou talents correspondants appartiennent à un sexe plutôt qu’à l’autre. On dit: «Madame de Sévigné est un grand écrivain» et «Rémy de Goumont est une plume brillante». On dit le garde des Sceaux, même quand c’est une femme, et la sentinelle, qui est presque toujours un homme.

Tous ces termes sont, je le répète, sémantiquement neutres. Accoler à un substantif un article d’un genre opposé au sien ne le fait pas changer de sexe. Ce n’est qu’une banale faute d’accord.

Certains substantifs se féminisent tout naturellement: une pianiste, avocate, chanteuse, directrice, actrice, papesse, doctoresse. Mais une dame ministresse, proviseuse, médecine, gardienne des Sceaux, officière ou commandeuse de la Légion d’Honneur contrevient soit à la clarté, soit à l’esthétique, sans que remarquer cet inconvénient puisse être imputé à l’antiféminisme. Un ambassadeur est un ambassadeur, même quand c’est une femme. Il est aussi une excellence, même quand c’est un homme. L’usage est le maître suprême.

Une langue bouge de par le mariage de la logique et du tâtonnement, qu’accompagne en sourdine une mélodie originale. Le tout est fruit de la lenteur des siècles, non de l’opportunisme des politiques. L’État n’a aucune légitimité pour décider du vocabulaire et de la grammaire. Il tombe en outre dans l’abus de pouvoir quand il utilise l’école publique pour imposer ses oukases langagiers à toute une jeunesse.

J’ai entendu objecter: « Vaugelas, au XVIIᵉ siècle, n’a-t-il pas édicté des normes dans ses remarques sur la langue française ? ». Certes. Mais Vaugelas n’était pas ministre. Ce n’était qu’un auteur, dont chacun était libre de suivre ou non les avis. Il n’avait pas les moyens d’imposer ses lubies aux enfants. Il n’était pas Richelieu, lequel n’a jamais tranché personnellement de questions de langues.

Si notre gouvernement veut servir le français, il ferait mieux de veiller d’abord à ce qu’on l’enseigne en classe, ensuite à ce que l’audiovisuel public, placé sous sa coupe, n’accumule pas à longueur de soirées les faux sens, solécismes, impropriétés, barbarismes et cuirs qui, pénétrant dans le crâne des gosses, achèvent de rendre impossible la tâche des enseignants. La société française a progressé vers l’égalité des sexes dans tous les métiers, sauf le métier politique. Les coupables de cette honte croient s’amnistier (ils en ont l’habitude) en torturant la grammaire.

Ils ont trouvé le sésame démagogique de cette opération magique: faire avancer le féminin faute d’avoir fait avancer les femmes.


Jean-François Revel

4 réflexions sur “LE SEXE DES MOTS

  1. jjbey 06/03/2021 / 23h21

    Le langage est moyen de communication, notre société en fait un moyen de sélection alors on n’a pas finit d’écrire un lycée avec un « e » qui le féminise et bien d’autres……

  2. Denis Morin (@DenisMorinMots) 07/03/2021 / 1h12

    Bonjour, j’aime beaucoup votre finale. On a encore du chemin à faire pour aller vers l’équité homme-femme partout dans le monde, pas juste au niveau de la langue française.

  3. dixvinsblog 07/03/2021 / 10h56

    je suis femme et je partage à 2000% l’analyse de JF Revel le combat droits des femme se trouve ailleurs que dans une féminisation absurde de langue française…. Le féminisme d’aujourd’hui a des combats bien pauvres…Beauvoir Groult et consoeurs doivent se retourner dans leur tombes …Mais bon on a sans doute les combats qu’on méritent

  4. Pat 07/03/2021 / 11h03

    Encore un genre de combat sur lequel on peut discuter mais sans déroger surtout à l’avis général qui risque de froisser les vieilles demoiselles. Il faut dégenrer sans déranger…On attaque de tous les côtés la phallique suprématie masculine en constatant quand même, merci, pas mal d’exceptions vite contournées en expliquant à ces messieurs qu’il est quand même fort ridicule de se voir affubler d’une particule « la ». Le risque est grand d’obtenir l’inverse du résultat voulu mais bon…si ça peut aider une femme ou deux à se sentir mieux, je veux bien mettre le pénis dans la vulve en un sexe neutre mais à mon sens ça ne changera pas grand chose.

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