Honte ou pas honte ?

À quoi ça sert de faire des films?

À quoi ça sert d’écrire des scénarios? À quoi ça sert de faire jouer des acteurs?

Peut-être à pas grand-chose quand on regarde le déroulement de la dernière cérémonie des Césars.

  • Ça ne sert à rien de faire des films sur la décennie terroriste des années 1990 en Algérie, comme Papicha.
  • Ça ne sert à rien de faire des films sur les fractures sociales, comme Les Misérables.
  • Ça ne sert à rien non plus de faire des films sur l’antisémitisme, comme J’accuse.
  • Parce qu’au fond tout le monde s’en fout.

Le cinéma s’empare de causes nobles à défendre comme s’il cherchait une raison de vivre et peut-être de survivre. Dans ce monde d’apparences et de comédie, la posture serait donc suffisante.

  • Le cinéma croit-il seulement aux valeurs qu’il prétend partager avec ses spectateurs?
  • Le cinéma ne serait-il rien d’autre qu’un business avec des cérémonies de distribution de prix pour maintenir L’attention du public?
  • Les lèche-cul au premier rang, les cancres au fond de la classe.

Gamin, on nous donnait à la fin de l’année scolaire des prix pour récompenser les élèves méritants. Quasiment tout le monde avait droit à un petit quelque chose, à savoir un livre. Sauf les plus mauvais élèves, c’est-à-dire les paresseux et les petits voyous bagarreurs qui avaient passé l’année à taper leurs camarades dans la cour de récréation. Punis, rejetés du groupe, il fallait leur faire comprendre qu’ils étaient coupables de quelque chose. Qu’il n’y avait rien à sauver chez eux.

C’est un peu le spectacle que la dernière cérémonie des Césars nous a donné à voir. Polanski aurait dû être puni.

Il fallait donc lui dénier la reconnaissance d’être un bon cinéaste et d’avoir transmis aux spectateurs des choses dignes d’intérêt à travers l’histoire racontée dans J’accuse. Tout ce travail n’aurait donc aucune valeur. Mais si ce à quoi a cru Polanski en faisant J’accuse n’a aucun intérêt, pourquoi les messages que les autres cinéastes font passer dans leurs oeuvres en auraient davantage?

La cause défendue par les militants qui s’opposent à lui devient alors totale. Exclusive. Seule leur cause est juste, et en revendiquant de la placer au centre de la société, ils en excluent toutes les autres.

Le combat contre les violences faites aux femmes, dont la légitimité n’est contestée par personne, prend une tonalité dérangeante quand il rejette les luttes étrangères. Comme celle contre l’antisémitisme. De nouvelles causes, plus jeunes, moins poussiéreuses, semblent vouloir renvoyer la lutte contre l’antisémitisme au rang d’une vieillerie de brocante du XIXe siècle menée par des mâles blancs hétéros de plus de 50 ans, comme le colonel Picquart, Clemenceau et Zola. L’ancien monde, probablement.

Durant cette soirée furent prononcés des discours appelant le cinéma français à s’ouvrir à la diversité. Mais en écoutant les déclarations de certains participants, on peut se demander si, pour ces gens, le Juif fait encore partie de cette diversité. Un film consacré à un Juif victime d’une injustice ne méritait donc pas la moindre reconnaissance?

«C’est une honte», a-t-on pu entendre au moment où fut récompensé Polanski. De La honte, il y en eut. Mais ce soir-là, sous nos yeux, elle avait changé de camp.

Le malaise auquel tout le monde se préparait pour cette cérémonie des Césars devait être causé par Polanski. Il fut finalement recouvert par celui diffusé par un certain type de militantisme féministe radical qui n’a aucune considération pour des combats différents menés par des militants différents.

L’attribution d’une récompense à Polanski ne légitime rien de ce qu’il a pu faire qui contrevient à la Loi.


RISS. Charlie hebdo. 04/03/2020


2 réflexions sur “Honte ou pas honte ?

  1. jjbey 05/03/2020 / 8h24

    Polanski récompensé pour son œuvre ce n’est que justice, conspué pour son comportement également. Ne pas récompenser une œuvre parce que sont auteur est un fieffé salaud serait une connerie mais que ses victimes profitent de l’occasion pour rappeler qui il est dans la vie est tout aussi légitime.

  2. Stephen Sevenair 05/03/2020 / 9h35

    Dopo la guerra (Après la guerre) d’Annarita Zambrano, sur les conséquences et l’après les brigades rouges ! Tant de film « ne servent à rien » et ne sont pas regardé car peu ou pas « divertissant » (au sens de divertissement comme oubli à notre mystère de vie et de mort) et ils posent beaucoup plus de question que n’offrent de réponses. Pourquoi se questionner ?
    Pourquoi ?
    Peut-être qu’un « j’accuse » aujourd’hui est plus dans le discours de Virginie Despente que dans une forme classique et peu questionnante d’un J’accuse d’un Polanski ?
    Peut-être ?
    Je ne sais pas…
    Mais un instant je prend la décision de ne pas voir ce film là ! Et je retourne voir Dopo la Guerra !

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