« Drôle » de mentalité !

Le président du CNRS, Antoine Petit, vient de déclencher un tollé dans le monde scientifique, en faisant l’éloge d’une loi de programmation de la recherche « inégalitaire » et « darwinienne ».[…] . [Voilà un « Môsieur » se poussant du coude, abusant d’une fausse notoriété du à sa nomination, tout à fait dans la lignée méprisante affiché par le roitelet en premier, son gouvernement en second, ces élus en troisième, n’ayant qu’irrespect en dehors de leur privilège. MC]

Dessin de Zorro – Charlie Hebdo. 18/12/2019

Les chercheurs ont l’habitude d’être méprisés, mais avec ce genre d’arguments, jamais.

Le PDG du CNRS, Antoine Petit, vient de présenter la future loi de programmation de la recherche en ces termes (interview parue dans Les Échos du 26 novembre) : « Il faut une loi ambitieuse, inégalitaire – oui, inégalitaire, une loi vertueuse et darwinienne, qui encourage les scientifiques, équipes, laboratoires, établissements les plus performants à l’échelle internationale, une loi qui mobilise les énergies. »

On comprend bien la logique : aider les « meilleures » équipes (selon quels critères?) et laisser crever les autres. Dans son discours du 6 avril pour les 80 ans du CNRS, Antoine Petit avait déjà comparé les scientifiques les moins productifs (même question) à du « bois mort » (sympa pour eux).

Mais sa dernière citation va bien plus loin. On peut déjà relever le concept de « loi inégalitaire ». Dans une République française affichant l’égalité comme devise, c’est pour le moins troublant. Il y a déjà eu d’autres lois inégalitaires, certes, mais elles n’ont, que je sache, jamais été présentées en tant que telles.

 Revendiquer l’inégalité comme principe, il fallait oser. En tout cas, ça a le mérite de la franchise. Quant aux devises républicaines, cela fait toujours joli au fronton des mairies.

Mais ce qui fait le plus bondir les chercheurs, c’est la référence à Darwin. Utiliser une métaphore biologique pour taper sur les scientifiques, c’est tendre le bâton pour se faire battre. Et ça n’a pas loupé. Des pétitions circulent déjà, les plus éminents responsables du CNRS ont protesté, et un collectif de 16 chercheurs a publié une tribune dans Le Monde du 6 décembre, intitulée « Le darwinisme social appliqué à la recherche est une absurdité ».

Pour commencer, les signataires donnent un petit cours de biologie à Antoine Petit (qui est spécialiste de maths et d’informatique, mais quand on préside le CNRS, on peut prendre le temps de se renseigner sur Darwin avant d’en parler), en lui rappelant le principe de la sélection naturelle établie par Darwin en 1859 : au sein d’une espèce, le hasard entraîne des mutations, les individus les mieux adaptés à l’environnement survivent mieux et transmettent leurs traits à leur descendance. Prenons ces bonnes vieilles girafes. Il y en eut avec grand cou et d’autres avec petit cou, mais les premières se nourrissant mieux que les secondes, elles eurent davantage d’enfants, de sorte qu’à la longue il n’est plus resté que des girafes à grand cou. Sauf que les scientifiques tiennent à préciser qu’ils ne sont pas des girafes : « La sélection naturelle porte sur des variations aléatoires, or les chercheurs ne travaillent pas au hasard. De plus, ils ne transmettent pas à leurs élèves leur supposé talent… » Ça, c’est la base.

Mais il y a plus grave. Antoine Petit oublie que le darwinisme ne se résume pas à la survie des plus forts au détriment des faibles : il y a aussi la coopération. Et ce n’est pas du tout un détail. J’ai beau avoir le plus grand des cous (si je suis une girafe), les plus musclés des biceps (si je suis un babouin) ou la plus longue des crinières (si je suis un lion), je ne vivrai pas vieux si je ne pense qu’à écraser l’autre. Darwin a aussi montré que l’entraide et l’altruisme sont des traits adaptatifs nécessaires à la survie des sociétés animales.

Mais le P-DG du CNRS n’est apparemment pas familier du monde animal. En revanche, il est connu pour être fan de rugby, et c’est pourquoi les scientifiques ont choisi la métaphore sportive pour lui rappeler que « sans ses coéquipiers, le meilleur talonneur du monde n’est rien ». En langage plus direct, ils s’insurgent contre la future loi de programmation de la recherche, qui vise à renforcer, disent-ils, « la compétition au détriment de la coopération ». Tous les scientifiques savent que la connaissance progresse à petits pas, et que même des génies comme Pasteur, Darwin ou Einstein ont eu des précurseurs méconnus.

Et puis, même si l’on suit la métaphore biologique d’An­toine Petit, en comparant les scientifiques à des animaux, il faut aller au bout de la logique. À quoi se mesure le « succès » d’une espèce animale ? À son taux de reproduction. Or l’« adaptation » d’un chercheur à l’univers scientifique n’est pas liée à son nombre de gosses, mais au nombre de ses pu­blications. Il lui faut donc publier beaucoup, et souvent. Et pour ça, privilégier des sujets faciles au détriment d’études complexes, qui demandent du temps. C’est un cercle vicieux : on finance des équipes qui publient beaucoup, et comme elles ont plus de fric, elles publieront encore davantage… Mais quid de la véritable innovation ? Du brin de folie ? De l’exploration pure ? Les signataires de la tribune du « Monde » affirment que « de tels critères de succès produisent nécessairement de la « sélection naturelle pour la mauvaise science » » et dénoncent les conséquences de « cette pression à la compétition fraudes, crise de la reproductibilité des expériences… »

Dessin de Zorro – Charlie Hebdo. 18/12/2019

En fait, Antoine Petit n’est pas très précis. Contrairement à ce qu’il prétend, il ne s’appuie pas sur le darwinisme, mais sur la théorie dite du « darwinisme social ». On la doit au philosophe Herbert Spencer, à la fin du XIXe siècle.

Ses adeptes cherchaient (histoire de se donner bonne conscience, sans doute) de pseudo-explications naturelles pour justifier la sauvagerie du capitalisme : il serait légitime d’exploiter et d’entuber son prochain, sous prétexte que, dans la nature, le plus fort écrase le plus faible. Sauf que le « darwinisme social » est une interprétation totalement erronée de Darwin, à laquelle lui-même s’est opposé, en expliquant que la société humaine n’est pas réductible à une lutte individuelle pour la survie : ce serait mettre de côté la culture, qui change toute la donne.

D’une manière générale, il est toujours absurde d’aller chercher de pseudo-lois « naturelles » pour justifier tel ou tel aspect de nos comportements. Car cette fameuse « Nature », on peut lui faire dire tout ce qu’on veut et son contraire. En s’inspirant des lions, qui tuent les jeunes d’autres mâles, ou des coucous, qui s’installent dans le nid d’autres oiseaux, on pourrait aussi bien justifier l’infanticide ou le parasitisme au nom du darwinisme. Personne ne s’y risquerait, n’est-ce pas ?

Alors, foutons une fois pour toutes la paix à ce malheureux Darwin, qui est mis à toutes les sauces, et généralement les pires. Surtout lorsqu’il s’agit, à la manière du PDG du CNRS, de justifier la compétition, en oubliant systématiquement l’entraide et la coopération. C’est valable dans la recherche scientifique comme dans tous les domaines de la société.


Antonio Fischetti. Charlie hebdo. Titre original de l’article : « Au secours, Darwin, reviens ». 18/12/2019


Une réflexion sur “« Drôle » de mentalité !

  1. jjbey 23/12/2019 / 21h05

    Malheureuse la phrase de De gaulle : »Ce ne sont pas de chercheurs dont nous avons besoin, mais de trouveurs ». Pour trouver il faut chercher et parfois même on trouve des choses qui n’ont rien à voir avec la recherche entreprise. Alimenter financièrement les chercheurs au nombre des publication doit poser la question de savoir que valent ce publications. Cela reste une bêtise mais sur ce sujet il y a peu de recherche car c’est assez bien partagé…

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