Les Algériens veulent une démocratie par la voie pacifique

Vendredi 22 février 2019, de grandes manifestations citoyennes, d’une ampleur inédite, ont éclaté un peu partout en Algérie. […] Pour prendre de la perspective sur la question, nous avons interrogé Benjamin Stora, historien de la guerre d’Algérie et président du Musée national de l’Histoire de l’immigration.

Les Inrocks : Comment analysez-vous l’émergence vendredi dernier de ces grandes manifestations citoyennes en Algérie ? Et ce, alors même que celles-ci sont par exemple interdites à Alger depuis 2001 ?

Benjamin Stora – Effectivement, elles sont interdites, notamment depuis les grandes manifestations des Kabyles à Alger, en mai 2001. Le surgissement de vendredi 22 février est donc spectaculaire par son ampleur et par le nombre de manifestants dans la rue. Il est également important de par la diversité des régions et des villes touchées : outre Alger, des manifestations ont eu lieu dans une trentaine de villes, comme Annaba, Kherrata…

Les Inrocks : Pourquoi un tel surgissement ?

C’est une accumulation, en fait. Déjà, le quatrième mandat en 2014 d’Abdelaziz Bouteflika était mal passé, il y avait déjà eu beaucoup d’opposition. Mais celle-ci était interne, feutrée, il s’agissait de gens qui étaient absolument en désaccord avec cela, mais qui ne s’étaient pas manifestés : il y avait encore à cette époque une forme de respect pour la personne de Bouteflika. Il était encore considéré comme celui qui avait ramené la paix civile après la décennie sanglante, […]

Les Inrocks : Au-delà de ce ras-le-bol contre Bouteflika, quelles sont les revendications des Algérien.ne.s ?

En premier lieu, ce n’est pas tellement contre Bouteflika lui-même qu’il y a un ras-le-bol, mais plutôt sur la question de sa candidature pour un cinquième mandat.

L’une des grandes revendications porte sur l’enjeu du renouvellement, sur le fait de changer d’époque, de rentrer dans une forme de transparence politique plus grande.

La deuxième grande revendication concerne la corruption. Les Algériens ont le sentiment que le pays est très riche, que beaucoup d’argent y est rentré, notamment via les hydrocarbures, c’est-à-dire le pétrole et le gaz. Et que, malgré tout, cet argent ne se voit pas dans le fonctionnement économique du pays, que ce soit au niveau des PME, des PMI, de l’agriculture ou encore de l’accès à la fonction publique. […]

Et puis, il y a des revendications plus classiquement sociales, et notamment de mieux vivre : pouvoir d’achat, logement…  […]

Ce sont les trois grandes revendications actuelles, qui tiennent tout de même beaucoup à la démocratie politique, à la question démocratique.

Les Inrocks : Vu son état de santé, Bouteflika est-il de toute façon capable de gouverner et d’assurer un cinquième mandat ?

[…] Des gens vont à des meetings de candidature… pour aller voir une photo. Je ne connais pas d’autre exemple similaire dans le monde. […]

Les Inrocks : Ce sont les jeunes algérien.ne.s qui se sont mobilisé.e.s, notamment via les réseaux sociaux… Quid des partis d’opposition ?

Attention, en Algérie, il n’y a pas que les réseaux sociaux, mais aussi la presse classique qui joue un très gros rôle, dont on ne parle pas assez. Des grands journaux arabophones et francophones comme El Watan, Liberté… Avec beaucoup de caricaturistes de talent comme Dilem qui dessine dans Liberté, ou encore Hic, qui fait des dessins au vitriol contre le pouvoir dans El Watan depuis des années. Il y a un ton très libre dans la presse algérienne, qui continue de jouer un grand rôle. D’ailleurs, une des journalistes principales de la chaîne 3 vient de démissionner [contestant la non-couverture des manifestations par cette radio nationale publique, ndlr]. C’est vous dire le rôle de contre-pouvoir important de la presse en Algérie, qui est d’ailleurs supérieur à celui des partis politiques traditionnels.

Maintenant, ces partis d’opposition existent bien, mais ils sont très divisés entre eux, voilà le problème. […]

Les Inrocks : Plusieurs articles rapportent que les partis d’opposition dénoncent une fraude électorale qui aurait déjà commencé

Les accusations de fraude sont anciennes en Algérie. Elles portent principalement sur la question du taux de participation aux élections. […]

Les Inrocks : Est-ce pertinent de parler d’un “printemps arabe” algérien ?

Non, car, en 2019, le mot suscite malheureusement de l’inquiétude : nous savons comment se sont terminés les printemps arabes, avec des guerres civiles, etc. […]

Les Inrocks : Abdelaziz Bouteflika et ses équipes pourraient-ils céder face à la pression populaire ?

Je ne sais pas. Il y a une telle opacité dans le fonctionnement du pouvoir… Ce que l’on peut voir en tout cas, c’est que la répression des manifestations de ces derniers jours n’a pas été aussi violente qu’en 1988 ou en 2001. Cela veut peut-être dire qu’il y a des discussions au sommet de l’Etat, des questionnements sur la meilleure façon d’intervenir par rapport à ces manifestations. Et, surtout, la grande incertitude est de savoir si ce soulèvement va s’installer dans la durée. On ne sait pas. L’élément le plus neuf est cette irruption. Pour son installation dans la durée, il est encore trop tôt pour le dire.


Propos recueillis par Amélie Quentel. Les Inrockuptibles. Titre original : «Les Algériens veulent un changement démocratique par la voie pacifique ». Source (extrait)


Normalement tout ce qui se passe à l’étranger regard les états souverains et la façon dont ils gèrent leur pays. Pourtant, dans le cas de l’Algérie il ne faudrait pas que survienne une nouvelle fois une « montée » de l’islamisme, l’installation de la charia, dans ce pays, ou quoi que disent certains Français nous avons encore de nombreuses racines ne serait-ce que par le nombre important de maghrébins ayant migré en France dans une époque ou l’Algérie était française

Par conséquent il est d’importance de regarder de près ce qui se passe de l’autre côté de la Méditerranée et d’espérer qu’une réelle démocratie s’installe, ce qui pourrait laisser la France et les Français en dehors de tous les problèmes que pourraient engendrer un changement de régime sur ce sol, au demeurant riche mais qui, comme d’habitude n’enrichit qu’une certaine classe de la population. Bien évidemment ce n’est qu’un avis personnel. MC

Une réflexion sur “Les Algériens veulent une démocratie par la voie pacifique

  1. jjbey 02/03/2019 / 18h14

    L’Algérie a ses gilets jaunes et la jeunesse en est le vivant ferment. Boutef a joué un grand rôle, il est aujourd’hui le jouet d’une oligarchie qui ne pense qu’à ses propres intérêts avant ceux de l’Algerie et du peuple algérien.

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