L’exploration spatiale des comètes.

Retour sur la mise en orbite de la sonde Rosetta autour de la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko et l’atterrissage du robot Philae à sa surface constituent une étape essentielle dans l’exploration des comètes.

Peu après sa formation, il y a 4,5 milliards d’années, la Terre a subi un intense bombardement de comètes et autres petits corps. Ce sont peut-être les comètes, riches en glaces, qui sont à l’origine de l’eau terrestre. Les comètes sont aussi des réservoirs de molécules organiques plus ou moins complexes, qui ont pu apporter ces ingrédients précieux et favoriser l’apparition de la vie sur notre planète.

Tout cela reste à préciser. Mais la taille d’un noyau cométaire n’est que de quelques kilomètres. Pour les télescopes terrestres, ce n’est qu’un point perdu dans la chevelure lumineuse qui l’entoure. Pour mieux le connaître, il faut se rendre sur place!

LA MISSION ROSETTA

L’exploration spatiale des noyaux cométaires avait débuté sur la comète de Halley en 1986 avec les sondes soviétiques Vega 1 et Vega 2 et la sonde européenne Giotto. Elle s’est poursuivie sur quatre autres comètes avec des sondes de la NASA. Il s’agissait alors de « rendez-vous » où les sondes survolent à grande vitesse le noyau cométaire, ne procurant que quelques heures d’observation utile.

Tout autre est la mission Rosetta. La sonde envoyée par l’Agence spatiale européenne sur 67P/Churyumov-Gerasimenko rejoint la comète, navigue pour ainsi dire de concert avec elle, puis se met en orbite autour du noyau. C’est une mission de longue durée; d’abord parce que Rosetta a mis dix ans à rejoindre la comète, mettant à profit plusieurs rebondissements gravitationnels sur Mars et sur la Terre pour une navigation économique; ensuite parce que la sonde doit étudier la comète pendant un an et demi.

Rosetta a en effet rejoint la comète en août 2014, loin du Soleil, à 3,5 ua1 La comète était alors peu active (ne relâchant alors que 300 g d’eau par seconde), ce qui a permis de s’en approcher sans danger à 10 km. Puis la sonde va accompagner la comète tout au long de son approche du Soleil, à son périhélie en août 2015 à 1,24 ua. On s’attend alors à une production d’eau de 300 kg par seconde et à une émission de poussières comparable. Rosetta devra alors s’éloigner quelque peu de la comète et se garer des jets de gaz et de poussière les plus dangereux. La mission doit normalement se poursuivre jusqu’à la fin de 2015.

Dès le début, les images envoyées par Rosetta nous surprennent. Loin de l’image attendue d’un corps plus ou moins sphéroïdal constellé de cratères, on découvre deux grosses masses reliées par une sorte de col, des régions plates et lisses, d’autres avec des falaises et des failles, des galets et des rochers de toutes tailles, des trous, voire des cavernes. En bref, un sol très diversifié dont la géologie est inédite. Un moment fort de la mission a été l’envoi d’un atterrisseur, Philae, sur la surface du noyau le 12 novembre 2014. Ce moment était choisi en raison de l’activité encore faible de la comète.

C’est une opération à haut risque qui doit se faire automatiquement, sans possibilité d’intervenir sur la trajectoire. Il est difficile d’atterrir sur un objet où la gravité est quasi nulle : à la surface de la comète, la masse de 100 kg de Philae ne pèse que 1 g! Le mécanisme d’arrimage ne fonctionne pas. Philae ricoche et s’immobilise après deux rebonds sur un site éloigné de celui prévu, où le faible ensoleillement ne permet pas de recharger ses batteries. Leur charge initiale permet cependant à Philae d’effectuer en deux jours et demi l’essentiel de son programme d’exploration. Il reste l’espoir de faire re-fonctionner Philae plus tard, lorsqu’à la faveur du rapprochement du Soleil l’ensoleillement sera plus fort.

Les images transmises par Rosetta et Philae sont fort spectaculaires. Mais elles ne constituent qu’une fraction du retour scientifique de la mission. Aussi essentielles sont les études de la matière cométaire: composition chimique et isotopique, texture et température, vitesse et taille des grains. Elles sont menées à distance (avec des spectromètres couvrant toutes les longueurs d’onde, des micro-ondes à l’ultraviolet) et localement (avec des spectromètres de masse, des chromatographes, des magnétomètres…).

Rosetta va maintenant continuer à suivre le réveil de la comète et à surveiller l’évolution des processus physiques qui règnent sur son noyau et dans son environnement proche. Un point important sera de comparer la morphologie du noyau avant et après le moment d’intense activité du passage au périhélie. Le noyau aura-t-il « maigri »? Y aura-t-il des zones d’effondrement? De nouveaux cratères? Y aura-t-il disparition, apparition, déplacement des gros blocs qui parsèment la surface? L’intérêt d’une mission de longue durée est de pouvoir répondre à ces questions. Et comment finira Rosetta si l’agressivité de l’environnement cométaire n’en vient pas à bout prématurément? On peut envisager des observations en rase-mottes se terminant, pourquoi pas, par une tentative d’atterrissage.

DES LEÇONS POUR LE FUTUR

L’analyse scientifique des premiers résultats ne fait que commencer, et il serait prématuré d’exposer des conclusions dans ces conditions.

En envoyant témérairement un atterrisseur sur une surface dont elle venait tout juste d’apprendre – encore bien partiellement – les secrets, Rosetta a peut-être brûlé les étapes. Profitant de cette expérience, on pourra concevoir pour les missions futures des robots explorateurs mieux adaptés.

Rosetta nous a révélés, avons-nous dit, une comète à la surface très diversifiée. On ne peut plus se limiter à explorer un seul site d’atterrissage. Il conviendra donc d’envisager plusieurs atterrisseurs, ou un atterrisseur sauteur pour des analyses à répétition (comme le font certains explorateurs d’astéroïdes, par exemple le robot Mascot de la sonde japonaise Hayabusa 2 qui vient de partir vers un petit astéroïde).

On se doute qu’à la surface du noyau la matière a fortement évolué en raison de sa longue exposition au rayonnement solaire et aux rayons cosmiques, et que c’est sous cette croûte qu’il faut rechercher la matière réellement primitive de la comète. Il faut donc sonder en profondeur – ce que Philae ne semble pas être en mesure de faire en raison de son mauvais positionnement. La foreuse de Philae pouvait sonder à quelques dizaines de centimètres. Aurait-ce été suffisant?

Le rêve est bien sûr de disposer d’une mission avec retour d’échantillon pour étudier à loisir la matière cométaire dans nos laboratoires terrestres. Les micrométéorites que l’on peut récolter dans la haute atmosphère (les particules responsables des étoiles filantes) nous donnent déjà un avant-goût de cette matière cométaire. Une mission de la NASA (Stardust) nous avait aussi rapportés en 2006 des grains cométaires prélevés dans la chevelure d’une comète. Mais c’est un authentique échantillon de noyau, avec ses glaces, que souhaitent analyser les spécialistes des comètes.

Son retour sur Terre est plus délicat car il nécessite un transport en container scellé et réfrigéré. La comète de Rosetta est une comète à courte période : elle revient tous les six ans près du Soleil. Il serait souhaitable d’explorer aussi une nouvelle comète effectuant son premier passage près du Soleil. Nous pourrions alors nous rendre compte de l’état sans doute fort différent d’une comète encore primitive qui n’a pas été façonnée par les cycles de chauffage-refroidissement lors de ses passages successifs près du Soleil. Mais de telles comètes sont inattendues, ne nous laissant qu’un court délai de réaction après leur découverte, et elles gravitent sur des orbites plus difficiles à atteindre.

Les comètes se répartissent en classes très différentes. Les observations de dizaines de comètes faites avec nos télescopes terrestres montrent des compositions chimiques diverses, que nous ne savons pas encore relier de façon cohérente à l’histoire de leur formation et de leur évolution. Mais l’exploration spatiale est fondamentalement limitée, par son coût, à un tout petit nombre d’objets. La caractérisation de la diversité cométaire nécessite des études systématiques et statistiques d’un grand nombre de comètes, qui ne peuvent se faire qu’avec des méthodes plus traditionnelles à partir des télescopes terrestres. Il y a une synergie certaine entre ces deux approches.

JACQUES CROVISIER est astronome à Observatoire de Paris. Il est co-auteur avec Thérèse Encrenaz de Les comètes, témoins de la naissance du système solaire, Ed. Belin

  1. Ua est le symbole d’« unité astronomique », unité de mesure qui se définit comme la distance de la Terre au Soleil (150 millions de kilomètres).

QUELQUES LIENS INTÉRESSANTS

  1. Des éléments de base sur les comètes : http://www.lesia.obspm.fr/perso/jacques-crovisier/promenade/pro_comete_nuls.html
  2. Actualités sur la mission Rosetta, site de l’ESA (en anglais) : http://www.esa.int/Our_Activities/Space_Science/Rosetta
  3. Le site du CNES : http://www.cnes.fr/web/CNES-fr/11305-rosetta-rendez-vous-avec-la-comete-churyumov-gerasimenko.php