L’exil

Je dois m’enfuir, car la guerre approche,
Nous laissons notre maison comme ça,
Aux mains de quelqu’un d’autre,
Je dois m’enfuir parce que la guerre est là,

Tu venais chez nous autrefois, autrefois, c’était avant tout ça,
J’étais si fier de te voir aux bras, de ma grande sœur Anna,
Aujourd’hui, j’ai pitié de toi,
Aujourd’hui, tu es leur soldat
Je laisse le vieux chien, il n’a pas sa place pour mourir près de moi
Et le courage de l’abattre ne me vient pas, ne me vient pas,

Et s’il pleure encore, quand vous viendrez pour tout brûler,
C’est qu’il a trop faim ou qu’il est trop vieux
Aide-le, je t’en supplie, à crever
Et il regarde la charrette vide de tout ce qu’il nous reste,
S’éloigner dans la nuit,

Il gémit et il pleure encore, il sait que je l’abandonne,
Je pense à lui les nuits, où je suis moins qu’un homme,
Où je suis moi aussi, affamé et trop vieux,
Me demandant toujours sur quel bord de la route
et par quel petit jour, ils vont me laisser là …

Et je regarderai la charrette vide de tout ce qu’ils leur restent,
S’éloigner dans le froid,
J’ai mal de ne pas mourir chez moi.


Cali


Interview de Cali par Olivier Raynaud paru le 13 mars 2019 dans Midi Libre

  • Dans plusieurs de vos chansons, notamment “Giuseppe et Maria”, vous avez abordé le thème de la Retirada, de l’exil, qui a façonné votre histoire familiale.

Mes grands-parents ont en effet subi tout cela. Mon grand-père, que je n’ai pas connu, avait 20 ans, était italien et se battait contre Mussolini. Avec des amis, ils sont tombés sur une coupure de journal qui parlait de la situation en Espagne. Et comme il ne souhaitait pas qu’il arrive au peuple espagnol ce que lui vivait déjà en Italie, il est parti combattre là-bas, au sein des Brigades internationales. C’est d’ailleurs là qu’il a rencontré ma grand-mère, puisqu’il a été blessé et soigné par elle. Mon père est né plus tard, à Barcelone.
Vient alors le temps de l’exil vers la France (à partir de l’hiver 1939), après la défaite des Républicains face au général Franco… 
Mes grands-parents ont été séparés une fois la frontière franchie. Ils ont vu les camps de Saint-Cyprien, Argelès, Gurs (Pyrénées-Atlantiques) pour mon grand-père, puis le Rieucros (Lozère) pour ma grand-mère. Il y a deux ans, j’ai d’ailleurs chanté à Mende et le maire de la ville m’a remis une lettre de mon grand-père, qui suppliait le Préfet de l’époque de donner plus de lait et de soupe aux enfants.

Mon grand-père, son héros

  • Ce papi, c’est un peu votre héros…

À la mort de mon père (Cali avait 24 ans, NDLR), il m’a laissé une lettre dans laquelle il disait avoir voué sa vie à mon grand-père, son héros. J’ai d’ailleurs hérité du foulard rouge des Brigades internationales avec un petit drapeau italien dessus, ainsi que le drapeau espagnol.

Mon père, enfant, se faisait traiter de rital, de sale espagnol…

  • À quel moment avez-vous pris conscience du poids que représentait cet exil au sein de votre famille ?

C’est marrant que vous me posiez la question, car c’est quelque chose qui me ronge un peu. Avant le décès de mon père, je ne m’étais franchement pas intéressé à la question. Ado, je pensais à tout, sauf à ça ! J’ai pris conscience de cette histoire plus tard, en lisant ou en visionnant des films comme Mourir à Madrid, de Frédéric Rossif, ou plus récemment Le Silence des autres (de Robert Bahar et Almudena Carracedo). J’ai pu visualiser cette histoire. Comme dans de nombreuses familles espagnoles, on imagine qu’il y a eu beaucoup de pudeur autour de cette question de l’exil… Il a fallu s’intégrer, apprendre le français, ça n’a pas été facile. Mon père, enfant, se faisait traiter de rital, de sale espagnol… Après mes concerts, je rencontre parfois des petits-enfants d’immigrés espagnols, comme moi. On parle de tout ça. L’Histoire, il faut la raconter et non pas la cacher.

  • L’histoire se répète

Cela nous ramène aussi à la question des migrants d’aujourd’hui. L’histoire se répète, le parallèle est évident. Ces personnes fuient la mort et il faut les accueillir dans de bonnes conditions, ce qui ne fut pas le cas pour nos grands-parents. Le débat est trop axé sur la question économique, a-t-on les moyens ou pas de les recevoir ?, mais c’est un état d’alerte. Il faut être avec eux.


Merci à Dominique — qui bien que « résidant » Suisse — , est à l’écoute de la vie et événements français. Amitiés. Michel


2 réflexions sur “L’exil

  1. Anonyme 10/04/2024 / 13h17

    Bonjour Michel,un poème qui me fait monter les larmes aux yeux, que c’est triste! bon après-midi Amicalement MTh

    • Libres jugements 10/04/2024 / 16h16

      Il est vrai qu’on voit toujours les envahisseurs venus prendre la place des « bons français », ces étrangers qui viennent piquer dans nos gamelles, qui profitent de notre sécurité sociale et la met en faillite – humour noir bien Évidemment – mais jamais personne ne se met à la place de celle ou celui qui s’expatrie avec l’espoir de trouver une terre accueillante permettant de vivre hors des conflits ou des exigences d’un dictateur ou du cultuel.
      Comme toi, ce poème m’a ému.
      Avec toute mon amitié. Michel

Rappel : Vos commentaires doivent être identifiables. Sinon ils vont dans les indésirables. MC