La sécurité aérienne tricolore

… plane-t-elle au-dessus des lois ?

Contrôles parfois défaillants, absences non remplacées, santé des pilotes mal surveillée, trois rapports sonnent l’alarme, en vain.

A quatre mois de l’ouverture des Jeux olympiques, et alors que la France va devenir l’épicentre du trafic aérien en Europe, la sécurité du ciel tricolore est-elle vraiment optimale ?

Le très officiel Bureau d’enquête et d’analyses (BEA) pour la sécurité de l’aviation civile mène des investigations très poussées sur un incident grave survenu le 22 mai 2022 : à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, le crash d’un Airbus affrété par la compagnie maltaise Airhub Airlines, avec 176 personnes à bord, avait été évité de justesse. A quelques mètres du sol, le pilote avait dû remettre les gaz en urgence.

La raison ? Le contrôleur aérien en poste avait transmis au pilote une mesure d’altitude erronée et s’était montré incapable de communiquer précisément en anglais avec l’équipage maltais. Pour tout arranger, l’allumage des lampes sur la piste d’atterrissage faisait défaut.

Listes de présence bidouillées

Comme « Le Canard » l’a déjà rapporté (10/1), les signaux sont au rouge depuis plus de vingt ans : à deux reprises, la Cour des comptes a souligné des carences de sécurité. De même, un rapport du BEA paru le 19 décembre 2023 identifiait une nouvelle défaillance. Ses auteurs analysaient alors un autre épisode grave, survenu le 31 décembre 2022 sur une piste de l’aéroport de Bordeaux-Mérignac.

Un Airbus d’EasyJet avec 179 personnes à bord et un avion de tourisme dans lequel se trouvaient un homme et son fils de 9 ans avaient failli entrer en collision. Le zinc de tourisme avait été positionné pour décollage au seuil d’une piste par un contrôleur aérien qui, l’oubliant ensuite, avait donné l’ordre à l’Airbus d’atterrir au même endroit. Une faute majeure du personnel en sous-effectif dans la tour…

Dans les trois rapports publiés, c’est l’incapacité de la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) à contrôler ses contrôleurs qui est pointée. A l’occasion de l’enquête sur l’« incident » de Bordeaux-Mérignac, les experts du BEA dénoncent des plannings de présence falsifiés sur le plan national — autrement dit, ne correspondant pas au véritable « registre des heures de travail effectivement fournies », imposé par la législation européenne.

Officiellement, les plannings existent et sont communiqués à l’Agence de l’Union européenne pour la sécurité aérienne ; ils sont censés afficher des équipes au complet.

En réalité, au moins 15 % du personnel prévu sur place est souvent manquant. Il faut dire qu’aucun badge ne permet de contrôler la présence en poste : seule l’entrée au parking de l’aéroport peut servir de pointeuse.

Or le « demi-tour parking » est une astuce répandue chez certains agents : aussitôt entrés, aussitôt sortis, retour à la maison. Et on ne procède à des vérifications poussées qu’en cas d’accident.

Le jour même de la remise du rapport du BEA sur Bordeaux-Mérignac, Clément Beaune, sous-ministre des Transports alors sur le départ, a adressé au patron de la DGAC une lettre au ton comminatoire lui enjoignant de « rendre compte sous un mois des actions déjà entreprises depuis l’incident pour améliorer la situation » et d’élaborer sous deux mois un « plan d’action visant à mettre en oeuvre la recommandation du BEA » en matière de sécurité.

Et qu’en est-il trois mois plus tard ? Selon le ministère, une consigne (qu’il se refuse à détailler) a été donnée par la DGAC (qui se tait) à ses troupes. Et plusieurs réunions se sont tenues. Ce que confirment les syndicats de contrôleurs, sans donner de détails, eux non plus.

L’idée d’être surveillés par une tour de contrôle nationale froisserait-elle les contrôleurs ?


Lauriane Gaud. Le Canard enchaîné. 13/03/2024


2 réflexions sur “La sécurité aérienne tricolore

  1. bernarddominik 18/03/2024 / 11h27

    Une enquête avait révélé le peu d’heures que travaillaient les controleurs aériens, les diverses combines dont les syndicats ne veulent pas parler. Une situation de monopole demande une direction ferme pour éviter les dérives.

  2. tatchou92 18/03/2024 / 21h29

    On peut comprendre que ces personnes qualifiées effectuent un travail stressant, demandant une attention permanente..
    Si avec l’augmentation du trafic, les cadences augmentent, les effectifs devraient suivre.. la solidarité et le sens du devoir, des responsabilités aussi..
    A défaut les organisations syndicales existent… la population comprendrait…
    on ne peut pas, on ne doit pas jouer avec la vie des passagers et des confrères..

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