Les vilains secrets de la pub en ligne

BM, Apple, Disney, Warner, Discovery, Comcast, Paramount… Les annonceurs sont de plus en plus nombreux à refuser de placer leurs publicités sur X (ex-Twitter).

En cause ?

La peur de voir leurs marques juxtaposées à des contenus pronazis ou des messages de haine, qui prolifèrent sur ce réseau depuis son rachat il y a un an par Elon Musk.

Le milliardaire a lui-même accru un peu plus le chaos sur X en approuvant un message qui affirmait que les communautés juives soutenaient « la haine contre les Blancs ». Ce qui lui a valu d’être accusé par la Maison-Blanche de faire une « promotion abjecte de la haine antisémite et raciste ».

Mais cette affaire est l’arbre qui cache la forêt. Le marché mondial de la publicité numérique recèle de vilains petits secrets, pointés par de rares publications spécialisées, comme la lettre de Petit Web de Geneviève Petit. Un audit de l’association des marques américaines a en effet révélé, en juin, que 15 % des « investissements programmatiques » des annonceurs atterrissaient sur des sites créés dans l’unique but de siphonner la publicité en ligne, au détriment de l’éthique éditoriale.

En résumé, des contenus racoleurs, allant de ragots sur les célébrités à de l’infox complotiste.

Rappelons que la publicité programmatique consiste à acheter et vendre des espaces publicitaires par le biais de systèmes entièrement automatisés, sans intervention d’un décideur humain, les annonces étant ensuite affichées en fonction des données collectées sur les internautes afin de toucher le public recherché.

Un marché à 558 milliards de dollars, qui pèse 85 % de la pub numérique mondiale. Le « programmatique » est le bulldozer avec lequel Google et Facebook ont conquis près de 60 % du marché mondial de la publicité en ligne, en promettant un effilage fin et une grande efficacité des messages.

Mais voilà : les annonceurs sont grugés, car non seulement une partie de ces pubs ne touchent pas les audiences convoitées, mais en plus, leurs marques peuvent être dévalorisées par leur proximité avec des contenus sul­fureux. Par ailleurs, cela revient à rémunérer les diffuseurs de désinformation, au détriment des médias fiables… et de la démocratie.

Une étude du cabinet Adalytics, relayée par le « Wall Street Journal », a notamment prouvé que les pra­tiques de Google, et notamment de sa filiale vidéo You­Tube, ne respectaient pas les engagements contractuels du groupe. Après avoir surveillé les pubs en ligne de 1100 marques pendant trois ans, elle conclut que les annonceurs « ont pu » être trompés, pour plusieurs milliards de dollars.

Parmi le florilège de dérapages : des pubs personnalisées ciblant les enfants, la suppression du bouton « Ignorer » (ce qui gonfle artificiellement le nombre de vues), la diffusion de vidéos sur de petits espaces, sans le son, sur des sites indépendants ou des applis mobiles contestables (dont la « Pravda » russe, ou bien des sites qui violent le droit d’auteur).

Circonstance aggravante, Meta/Facebook a récemment publié de fausses promotions — allant jusqu’à – 80 % – de la part d’usurpateurs se faisant passer pour des marques telles Bensimon, Cyrillus, Le Coq sportif, Eram, Etam, Jacadi, Maje, Petit Bateau…

Comme si les scandales électoraux passés ne lui avaient pas servi de leçon, le même Facebook continue de vendre aux annonceurs politiques — y compris ceux qui véhiculent mensonges et propagande — ses outils de micro-ciblage les plus puissants.

Ces pratiques sont d’autant plus choquantes que Google et consorts ne cessent d’augmenter leurs tarifs : +20 % à 30 % pour Google Ads cette année, après 5% à 20 % l’an dernier.

Jusqu’ici, peu de professionnels de l’industrie osaient critiquer les rois de la pub. Mais peut-être le vent commence-t-il à tourner…

Comme le dit crûment la journaliste américaine Kara Swisher, « les industries de la publicité et du marketing ont arrêté d’acheter le bullshit des plateformes. Elles demandent des données. Ils demandent des preuves ».

 Souhaitons que l’avenir lui donne raison.


Dominique Nora. L’Obs. N° 3087 – 30-06/11-12/2023


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