Gueules d’influences

Le 9 août dernier, La Tronche en biais, une chaîne YouTube de zététique, publie une vidéo intitulée « Fausse expertise chez les anti-complotisme ? ».

Pendant plus d’une heure et quart, elle analyse le CV, le parcours et les interventions de deux spécialistes du complotisme : Marie Peltier, essayiste belge qui a notamment travaillé sur la propagande en Syrie et sur la question du conspirationnisme ; et Stéphanie Lamy, « spécialiste des opérations sémantiques » et cofondatrice du collectif Abandon de famille — Tolérance zéro !

Pour Thomas Durand, créateur de La Tronche en biais, ces deux conférencières, très populaires sur X (anciennement Twitter), ne sont pas ce qu’elles prétendent être : des expertes.

Critique justifiée ou jalousie larvée ? La vidéo de La Tronche en biais sonne comme le dernier acte d’un conflit qui sévit depuis novembre 2022 dans la sphère dite du « débunkage » (comprendre : de la déconstruction des fake news et des théories du complot) sur les réseaux sociaux.

À l’époque, FranceSoir, Idriss Aberkane et d’autres membres de la complosphère s’en prennent violemment à un média en ligne dédié au fact-checking, Fact & Furious. Le site de désinformation FranceSoir cible particulièrement le fondateur de Fact & Furious, Antoine Daoust, accusé par son ex-compagne de violences conjugales. Doxxing (divulgation de données personnelles), harcèlement, visite à son domicile… Daoust et sa nouvelle conjointe, Yogina (*), accusent le coup. Et alors qu’ils s’attendaient à être soutenus par leur communauté — celle des experts anticomplot, donc —, ils sont surpris d’essuyer une violente salve venue de leurs propres rangs. « Marie Peltier et Stéphanie Lamy ont repris les accusations de FranceSoir â notre encontre », se souvient Yogina, interrogée par Charlie Hebdo.

Dans un certain nombre de messages postés sur les réseaux sociaux, Stéphanie Lamy répète même avoir accès à des éléments du dossier étayant la culpabilité d’Antoine Daoust, et la complaisance de Yogina dans cette affaire. Mais pour cette dernière, la querelle Fact & Furious permet surtout à Peltier et à Lamy — qui, en sus du complotisme, revendiquent une expertise sur les questions féministes — d’appuyer une de leurs critiques constantes : le caractère profondément masculiniste du milieu anti-complotiste. « Elles ont profité de cette histoire pour appuyer leurs petites accusations de masculinisme qui toucheraient toute la communauté du débunkage », explique-t-elle à Charlie Hebdo.

Selon Yogina, Marie Peltier et Stéphanie Lamy ont l’accusation de « masculinisme » facile — qu’elle vise les hommes ou les femmes, accusées d’être complices du patriarcat. « Elles ont toutes les deux la même technique : quand quelqu’un leur fait une remarque qui ne leur plaît pas, elles prennent une capture d’écran du message, bloquent l’interlocuteur, publient la capture d’écran et se plaignent qu’on leur dénie leurs expertises en arguant que c’est un comportement typique de tous les masculinistes », explique un membre de la sphère anti-complotiste qui souhaite rester anonyme — notons que de nombreux interlocuteurs contactés par Charlie Hebdo ont préféré témoigner anonymement.

Cette accusation de masculinisme, Nendily (*), une autre fact-checkeuse, en a aussi fait les frais. Son tort ? Avoir, dans plusieurs billets de blog, contredit des propos tenus dans un épisode de La Fabrique du mensonge, une émission de France 5 sur le procès de Johnny Depp contre Amber Heard diffusée en février dernier et dans laquelle interviennent Marie Peltier et Stéphanie Lamy. « Elles s’en sont prises à moi pendant quatre jours d’affilée. J’ai eu droit à des dizaines de tweets m’accusant d’être une harceleuse. »

Au mois de juin, Nendily reçoit une mise en demeure de Marie Peltier lui demandant de cesser « son cyberharcélement ». Dans la foulée, la jeune femme, acculée, disparaît des réseaux sociaux : « Je n’arrivais plus à travailler. Mon psy m’a remise sous benzodiazépine [un calmant, ndlr] et je suis actuellement sous antidépresseurs. »

Une lettre à en-tête judiciaire, Nendily n’est pas la seule à en avoir reçu. C’est un procédé connu, souvent utilisé par les complotistes, qualifié de « procédure-bâillon » : une façon de réduire ses contradicteurs au silence, sous la pression d’une poursuite judiciaire longue et coûteuse.

« Je suis accusé de faits assez graves, mais il n’y a pas le moindre élément concret pour les prouver », soupire un autre des contradicteurs de Marie Peltier et de Stéphanie Lamy, sous couvert d’anonymat. Dans le cas de Marie Peltier, ces actions en justice sont prises en charge, de son propre aveu, par une organisation publique belge, l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, « qui a pour mission de garantir et de promouvoir l’égalité des femmes et des hommes ».

Interrogée par Charlie, Marie Peltier assure ne désirer qu’une chose, « que cela s’arrête et qu’on [la] laisse vivre en paix la fin de [sa] grossesse ». « Il ne s’agit pas ici d’un débat d’idées ou d’une opposition entre « deux versions », mais de faits qui seront réglés en justice », a-t-elle réitéré. Quant à Stéphanie Lamy, elle n’a pas souhaité faire de commentaires, préférant se réserver, elle aussi, pour les procédures judiciaires à venir.

La semaine dernière, une tribune, signée par plusieurs dizaines de personnes, est venue en soutien aux deux expertes, qui se disent victimes d’un harcèlement particulièrement violent sur les réseaux sociaux. Les critiques, estiment les signataires, auraient pour objectif réel « de fragiliser les cibles jusqu’à leur disparition de l’espace public des réseaux sociaux ainsi que le travail de sape de leurs moyens de subsistance par la mise en cause de leurs compétences professionnelles ».

À quand un cessez-le-feu ? La guerre intestine de l’anti-complot ne semble pas près de s’éteindre et continue de régaler ceux qui, comme FranceSoir et autres Aberkane, ne peuvent que profiter de ces dissensions. À ce jour, Charlie Hebdo n’a pas encore reçu de courrier d’avocat.


Lorraine Redaud. Charlie Hebdo 23/08/2023


(*) Pseudonymes utilisés sur les réseaux sociaux.


3 réflexions sur “Gueules d’influences

  1. bernarddominik 28/08/2023 / 9h19

    Quand les qu’elles d’idées deviennent des querelles de personnes ont atteint le ridicule, le risible.

  2. Anne-Marie 28/08/2023 / 18h58

    Il est assez lamentable de constater que, quelque soit le sujet, si nous n’êtes pas du même avis que les « expert.es, vous êtes de suite taxé de « complotiste ».
    N’y a-t-il vraiment plus moyen de débattre de manière sereine ?
    Nul n’a le monopole de la »vérité ».

    • Libres jugements 28/08/2023 / 20h58

      Pour une fois, je ne vais pas être d’accord avec toi Anne-Marie.
      Je pense qu’il y a une grande différence entre  » présenter  » la réalité et la déformer.
      De là à penser que tous les experts se trompent ; il y a une grande marge dont dépend en grande partie le parcours personnel des auteurs et du milieu dans lequel ils ont évolué.
      Ériger en complot certaines affirmations non vérifiées relèvent de la malhonnêteté.
      Par contre je suis entièrement d’accord sur le fait que nul n’a le monopole de la vérité et d’ailleurs à l’affirmation pleine et entière de la vérité. Il y a d’abord des séquences qui ne peuvent être mises en cause et d’autres qui relèvent de l’habillage dans une phrase.

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