BIÉLORUSSIE-POLOGNE

Le dictateur, l’Europe et les migrants

Après l’élection présidentielle frauduleuse de l’année dernière en Biélorussie et la violente répression de l’opposi­tion, avec enlèvements et tortures, les tensions entre l’Union européenne et la Biélorussie n’ont fait que croître.

Lou­kachenko éprouve un ressentiment tout particulier envers la Pologne et la Lituanie, qui ont accueilli des dissidents et des journalistes biélorusses contraints à l’exil, dont la leader de l’opposition, Svetlana Tsikhanovskaïa. Il a donc décidé d’uti­liser les demandeurs d’asile du Moyen-Orient et d’Afrique comme une arme politique en les « déversant » vers les voisins européens hostiles à son régime.

Depuis plusieurs mois, les compagnies aériennes biélorusses assurent de nombreux vols directs depuis l’Irak, la Syrie et le Yémen, amenant des milliers de migrants à la frontière avec la Pologne et avec la Lituanie. Et, il faut l’admettre, la provocation de Loukachenko a fonctionné.

Alors que la tension à la frontière polonaise s’intensifiait chaque jour, le président du Conseil européen, Charles Michel, a officiellement annoncé, le 9 novembre, que l’UE changeait radicalement de position sur la construction de murs « antimigrants » à ses frontières : «Nous avons ouvert le débat sur le financement par l’UE des infrastructures physiques aux frontières. »

Il y a encore un mois, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, était pourtant catégorique : « Il n’y aura pas de financement de fils barbelés et de murs »…

Mieux, le dialogue (téléphonique) entre Louka­chenko et les dirigeants européens a été rétabli. Après un coup de fil avec Angela Merkel, le dictateur biélorusse a accepté de transporter les migrants hors de la zone de la frontière. Plusieurs centaines d’Irakiens auraient également été rapatriés par un avion fourni par Bagdad.

Sauf que le sort des demandeurs d’asile restés en Biélorussie n’est pas clair. Loukachenko a-t-il fait marche arrière ou a-t-il plutôt obtenu ce qu’il voulait, l’UE ayant été contrainte de dialoguer avec lui?

Le vaste réseau des services secrets biélorusses est pleinement capable de développer un tel plan de manière indépendante, sans l’implication de la Russie. Mais, il est peu probable que son exécution se soit faite sans l’accord du Kremlin.

La Russie et la Biélorussie partagent un même espace aérien et donc la sécurité de cet espace. Et par conséquent, la protection des frontières. Et même si Loukachenko agace souvent Poutine, il reste une marionnette facile à manipuler, surtout lorsqu’il s’agit de troller l’Occident.

Avec cet afflux de migrants aux frontières de l’UE, Moscou a une belle occasion de pointer du doigt l’incapacité de l’Europe à protéger son propre territoire et, ce qui est cocasse, de dénoncer le non-respect des droits humains.

Loukachenko n’abandonne pas une once de son pouvoir, et l’UE est tiraillée entre la défense de ses valeurs fondamentales (dont le droit d’asile fait partie) et la sécurité de ses frontières. Toutes choses qui ne sont certainement pas pour déplaire au Kremlin.


Inna Shevchenko – Charlie Hebdo – 24/11/2021

2 réflexions sur “BIÉLORUSSIE-POLOGNE

  1. jjbey 27/11/2021 / 12h30

    Tout ça laisse des milliers de gens sans espoir de vivre un monde meilleur que celui qu’ils ont fui. Loukachenko est une ordure mais que penser de ceux qui veulent ériger des murs …………….

  2. Danielle ROLLAT 27/11/2021 / 21h49

    « Est-ce ainsi que les Hommes vivent ? » « Aimez-vous les uns, les autres comme je vous ai aimés ».. « ne fais pas à ton prochain, ce que tu ne veux pas qu’on te fasse ».. quelle humanité ? quelle considération ? quelle empathie ? quelle solidarité internationale ? Ici, en Manche, et dans les états d’origine de ces Personnes, ?

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