Ces causeurs … pseudo-experts, que de la jactance inutile.

Covid 19 : les éditocrates serrent les rangs derrière Macron

Ces derniers jours et semaines, le gouvernement est sous le feu des critiques pour sa gestion de la crise du Covid 19. Notamment de la part des personnels de santé, confrontés à un manque de moyens (équipements de protection, médicaments, etc.) et à une impréparation qui les mettent directement en danger. Mais dans les médias dominants, les éditorialistes serrent les rangs derrière Emmanuel Macron, « chef de guerre » autoproclamé : quand ils ne saluent l’action du gouvernement, ils balayent d’un revers de main les critiques.

C’est bien connu : pour ce qui est de chanter les louanges du gouvernement, Christophe Barbier n’est jamais en reste. Et ces dernières semaines, il ne s’en est pas privé.

Dans son éditorial du 27 mars, il prend la défense d’Édouard Philippe, Agnès Buzyn, et Olivier Véran, visés par six plaintes déposées devant la Cour de justice pour leur gestion de l’épidémie. D’un revers de main, il en balaie les fondements : « Honnêtement, à l’heure où nous parlons, il n’y a aucune raison de penser [qu’ils] puissent être soupçonnés d’homicide involontaire ou de mise en danger d’autrui puisque c’est l’objet de ces plaintes ».

Nul doute que, pour arriver à cette conclusion, Christophe Barbier a mené une enquête approfondie depuis son fauteuil d’éditorialiste. Plus tard, il regrette, en citant Alain Finkielkraut – interviewé dans Le Figaro le même jour, que le gouvernement serait devenu le « bouc-émissaire de nos peurs primaires […] traduit devant le tribunal de la bêtise surinformée ». Et autant dire qu’en matière de « bêtise surinformée », Barbier est un expert…

Le lendemain encore, l’éditorialiste à l’écharpe rouge ne manque pas d’applaudir la pédagogie d’Édouard Philippe, dans sa conférence de presse du jour même. Il se réjouit que le Premier ministre ait « fait le sort des polémiques rétrospectives […], c’était important de mettre un coup d’arrêt à ces polémiques-là ». Bref : circulez, il n’y a rien à voir.

Mais mieux vaut le dire mille fois qu’une : dimanche 29 mars, dans une séquence qui n’a pas échappé à la vigilance d’un certain Henri Maler [1], Barbier remet le couvert. Face à l’urgentiste Christophe Prudhomme, qui pointe l’incurie du gouvernement, l’éditorialiste appelle à ne pas « chercher des coupables » puisque la crise de l’hôpital n’aurait fait l’objet d’aucune alerte des personnels , ni des forces politiques ; et de ne pas aller « devant la justice où là, on risque des psychodrames inutiles ». Et où l’on risquerait surtout d’interroger le bien-fondé de politiques libérales appliquées depuis des années au secteur public… que Barbier continue encore et toujours de défendre malgré la crise sanitaire :

Un « mieux-disant » qui conduit aujourd’hui à une pénurie de moyens aux conséquences dramatiques. Un détail, sans doute, pour l’éditorialiste.

Christophe Barbier est loin d’être le seul à faire le service après-vente de la gestion de crise du gouvernement sur les plateaux de BFM-TV. Dès le 16 mars, Bruno Jeudy approuvait l’intervention d’Emmanuel Macron « positionné en père de famille, […] en première ligne de cette guerre sanitaire ». Le 31 mars, il applaudissait une nouvelle fois l’intervention « d’un président à l’offensive » ciblant « les leaders populistes, qu’ils soient d’extrême-droite ou de la gauche de l’échiquier, qui s’en prennent régulièrement à Macron et sa gestion de la crise ». Oubliant au passage, léger détail, que les principales critiques émanaient en réalité des personnels hospitaliers. Même son de cloche chez l’inoxydable Alain Duhamel, le 31 mars toujours, qui reprend quant à lui presque mot pour mot les éléments de langage du gouvernement. Qu’on en juge avec cet extrait de l’intervention d’Emmanuel Macron, le jour même, dans une usine de masques à Angers :

Et le commentaire de l’auguste éditocrate :

Une imitation – il faut le reconnaître – très réussie !

Bien sûr, BFM-TV n’est pas un cas à part ; sur les plateaux des autres chaînes d’information, les éditocrates se chargent également d’accompagner, voire de devancer la communication officielle. Déjà le 9 mars, avant la mise en place du confinement, Philippe Val adressait sur LCI un satisfecit à l’action gouvernementale :

Plus récemment, le 28 mars, un plateau de LCI donnait à voir le fossé entre le point de vue de l’éditorialiste maison, et un représentant du personnel soignant. Thierry Amouroux, secrétaire général du syndicat des infirmiers, répondait vertement à Marie-Eve Malouines, ancienne présidente de LCP, en évoquant notamment la pénurie de masques de protection et l’impréparation du gouvernement :

Un coup de gueule étayé, parmi tant d’autres, qui n’est semble-t-il pas parvenu aux oreilles de Jean-Michel Aphatie. Dans ses éditos quotidiens sur LCI, l’éditocrate joue également la partition de la communication officielle. Le 26 mars, il revient sur l’intervention d’Emmanuel Macron à Mulhouse. Et conclut : « Tout le monde doit être derrière les pouvoirs publics aujourd’hui dans cette crise, et ce qu’a annoncé Emmanuel Macron est peut-être de nature à restaurer une confiance nécessaire pour gagner la bataille contre le virus ». Deux jours plus tard, estimant sans doute ne pas avoir obtenu satisfaction, il s’en plaint sur le plateau de « C l’hebdo » : « [Je suis] étonné des critiques qu’on adresse au gouvernement ». Et en profite pour adresser un encouragement sur son compte Twitter, accompagné d’une illustration qui témoigne de toute la finesse de l’analyse :

Les personnels soignants portant ces critiques apprécieront, à sa juste valeur, « l’humanité » d’une telle saillie.

Et dans les autres médias ? Les condamnations des critiques sont également nombreuses. L’éditorialiste macronolâtre du Parisien Nicolas Charbonneau s’élève contre toute « désunion nationale » : « l’heure des procureurs n’est pas venue […] ne soyons pas le seul pays au monde à s’entredéchirer avant même d’avoir emporté la bataille contre la maladie » (29/03). Dans sa chronique quotidienne sur France Inter du 30 mars, Thomas Legrand se félicite quant à lui du « langage de vérité » du Premier ministre et appelle à mettre la pédale douce sur les critiques dans la période actuelle : « Il sera toujours temps de se retourner sur le sujet après la crise, pour en tirer des leçons… Pour l’instant, c’est la course contre la montre, la bataille. »

Même son de cloche dans la matinale de RTL. Lorsque Jérôme Martin, président de l’Union française pour une médecine libre, regrette le manque de matériel (respirateurs, masques), Yves Calvi tempère des propos qu’il juge « accusatoires » : « en ce moment j’ai envie de vous dire, on a besoin d’union nationale, et on a besoin d’informer les Français aussi, c’est un équilibre qui est délicat ». Il ne faudrait pas y aller trop fort sur l’information…

En termes de propos « accusatoires », il faut dire qu’Yves Calvi n’est pas en reste. Le 12 mars, dans « L’info du vrai » sur Canal +, il se livrait à une attaque en règle… contre les revendications des personnels de santé : « Je vais choquer tout le monde en disant ça mais la pleurniche permanente hospitalière fait qu’on est en permanence au chevet de notre hôpital ». « Pleurniche permanente » : encore une fois, les hospitaliers aujourd’hui en première ligne et subissant manque de moyens et pénuries apprécieront… Surtout venant d’un animateur dont les revenus annuels bruts cumulés approchaient, en 2016, le million d’euros. Des propos qui n’empêcheront pas Yves Calvi, toute honte bue, de figurer dans un clip publié par RTL début avril pour remercier les personnels de santé :

Jean Quatremer balaie quant à lui d’un revers de main la responsabilité du gouvernement dans l’impréparation face à la crise :

Lorsqu’il évoque les « avis scientifiques contradictoires », l’éditorialiste a peut-être en tête celui exprimé fin février par un éminent épidémiologiste, un certain Quatremer Jean :

Sur France 5, dans « C à vous » (30 mars), on se paye carrément le porte-parole de l’association des médecins urgentistes de France, Christophe Prudhomme (au plus grand bonheur de Raphaël Enthoven). Alors qu’Anne-Élisabeth Lemoine invite Roselyne Bachelot, ancienne ministre de la santé désormais chroniqueuse, plusieurs extraits sont diffusés :

dans le premier, daté du 29 mars, on voit l’urgentiste dénoncer « l’incurie du gouvernement », et pointer le fait que les personnels de santé sont contraints de choisir les patients à mettre en réanimation. Dans le second, Édouard Philippe annonce « qu’il ne laissera personne dire qu’il y a eu du retard sur la prise de décision s’agissant du confinement ». Le troisième extrait est introduit par l’ancienne ministre de la santé elle-même, qui prend un ton matois. On y voit Christophe Prudhomme, le 6 mars sur le plateau de LCI, dénoncer la surréaction des politiques face à un virus jugé « peu mortel ».

Et Roselyne Bachelot de dérouler en brocardant « monsieur Prudhomme, le représentant de la CGT », et en faisant mine de s’indigner : « Ça me met en colère, l’instrumentalisation politicienne à ce point, c’est absolument incroyable ! Il n’avait qu’un droit, c’est de dire je me suis trompé. » Nul doute qu’à l’avenir, cette émission réalisera des montages similaires pour s’indigner, avec la même virulence, des changements de cap et mensonges à répétition dont nous gratifient les membres du gouvernement depuis trois mois. Mais il est permis d’en douter. Car à travers l’épinglage opportuniste de Christophe Prudhomme, le message est clair : les critiques de la réponse du gouvernement, y compris celle des personnels de santé, n’ont pas lieu d’être, et ne relèvent que de la pure instrumentalisation politicienne… et plus si affinités quand elles sont fomentées par la CGT. En bref et en mille : circulez, il n’y a rien à voir.

***

Les réactions des commentateurs vedettes sont exemplaires de la manière dont « l’union sacrée », appelée des vœux du gouvernement, se traduit dans les grands médias par une mise en veilleuse – voire une remise en cause – de toute critique. Elles témoignent tout particulièrement de l’incurie des éditocrates, et de leur rôle de chiens de garde de l’ordre social, particulièrement évident en période de crise.


Frédéric Lemaire -Acrimed (Association indépendante de critique des médias) – Source (Lecture libre)


  1. Voir également l’article de Samuel Gontier qui revient sur cette séquence.

2 réflexions sur “Ces causeurs … pseudo-experts, que de la jactance inutile.

  1. jjbey 10/04/2020 / 9h31

    Des années que le personnel de santé dénonce cette politique qui en réduisait les moyens et la seule réponse des politiciens est de dire : »c’est pas ma faute ». Au mieux de l’inconscience au pire de la lâcheté et ce qui est sûr la volonté de diminuer les dépenses de santé. Toujours ça de pris pour les actionnaires. Les thuriféraires du système se démènent pour justifier l’injustifiable et ont les moyens de le faire.

  2. bernarddominik 10/04/2020 / 11h05

    N’oublions pas deux choses: premièrement les journaux sont fortement subventionnés et dépendent donc des règles obscures d’attribution de fonds publics et deuxièmement que les journalistes ont un abattement d’impôts supplémentaire de 30%, et leur crainte est de le voir disparaître. N’oublions pas, non plus, que le canard enchaîné est alimenté par les hauts fonctionnaires qui savent qu’il vaut mieux un exutoire connu, que le risque de diffusion d’informations non contrôlées. Ce qui pose aujourd’hui problème au pouvoir, ce ne sont pas les journalistes, bien contrôlés et bien briffés, ce sont les réseaux sociaux, où tout passe, et qui ont rendu crédible l’invraisemblable. Mais le covid19 a eu trop d’impacts pour que le pouvoir et ses porte plumes puissent ignorer le mécontentement populaire, les discours changeants ne peuvent plus être justifiés, le manque criant d’anticipation, de prévision, et même les incohérences face aux besoins immédiats, sont devenus le sujet de tous les débats, Macron essaie de se raccrocher aux branches en allant voir Didier Raoult, mais c’est trop tard. Et son problème c’est que ses porte plumes, Barbier Jeudy Apathie, etc, ne sont plus écoutés. Cnews s’est permis de critiquer la logorrhée des discours de Macron, en les comparant à ses prédécesseurs, dans mon entourage on n’écoute plus BFM, ils nous font rire…jaune.

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