Pourquoi s’gener !

Le crédit impôt recherche est censé aider les entreprises innovantes. Mais ses dépenses ont explosé autant que la fraude.

Le crédit impôt recherche (CIR) devait développer la recherche en France, et stimuler l’emploi, mais ce dispositif de soutien aux entreprises innovantes qui investissent dans la recherche ne tient pas ses promesses. Les dépenses ont explosé sans stimuler l’emploi. Pire : les cas de fraude semblent se multiplier, et les contrôles sont peu regardants et faciles à contourner. Résultat : le CIR est devenu une aide déguisée aux entreprises.

Peu importe si cette « aide » existe toujours ou non, le simple fait d’en connaître son fonctionnement et dérives est inquiétant. Ce d’autant qu’un citoyen lambda n’ayant pas pour x raisons pu régler l’intégralité de ses impôt sur ses revenus se verrait surtaxé largement voir déposséder de ses biens, lui … MC

Un dispositif sanctuarisé, une efficacité douteuse 

En 1983, le crédit d’impôt recherche (CIR) est créé pour soutenir les entreprises innovantes qui investissent dans la recherche et développer l’emploi. En 2008, le gouvernement de François Fillon le modifie pour permettre à davantage d’entreprises d’en bénéficier. Mais, presque 10 ans après le lancement de la nouvelle formule, son impact réel reste très incertain. Et lorsque des parlementaires tentent d’en savoir plus, les portes se ferment.

Pas touche au crédit impôt recherche ! Quel qu’en soit le coût, la consigne envoyée au sommet de l’Etat est de ne pas toucher au CIR. En promettant qu’il ne reviendrait pas sur ce dispositif sur la durée de son quinquennat, François Hollande a en effet sanctuarisé le CIR.

D’après l’économiste Dominique Plihon, le président a voulu préserver le CIR car ce serait un instrument indispensable pour attirer des investisseurs étrangers. « Les gouvernements successifs défendent cette aide parce que c’est un facteur d’attractivité du territoire. Ils croient bien faire, mais ces aides n’ont pas un impact significatif et démontré sur la compétitivité par rapport à la concurrence étrangère », explique-t-il.

Mais, en 2013, la publication d’un rapport de la Cour des comptes montre que le coût de ce crédit d’impôt a explosé. « Le nombre d’entreprises déclarant du crédit impôt recherche a doublé, passant de 9 800 à 17 900 entreprises. (…) Leurs créances fiscales sont passées de 1,8 million à 5,7 millions d’euros, soit un quasi-triplement. Cette dynamique a été mal anticipée et constamment sous-estimée dans les lois de finances », peut-on lire.

Un moyen pour les entreprises de payer moins d’impôts

Si ces chiffres augmentent, c’est parce qu’il n’y a pas de plafond au niveau national. Toute entreprise qui peut prétendre au CIR le touche automatiquement. Dans le même temps, la fraude devient monnaie courante. Plus il y a de dépenses de recherche justifiées, plus les impôts sont faibles. Toute prestation facturée par un laboratoire public ou agréé, est déductible des impôts pour le double de son montant. Quand une entreprise facture 100 euros à un laboratoire extérieur, elle en déduit 200 euros. C’est donc une transaction très intéressante pour les entreprises.

Problème, avec cette nécessité de récupérer de l’argent, les chercheurs deviennent des chargés d’affaires. C’est le cas de Simone Cassette, ex-chercheuse CGT chez Thalès, dont le laboratoire a été sauvé par le CIR mais avec une contrepartie. « On est plutôt là pour rechercher des sous-traitances de la recherche et multiplier les financements. On nous demande de rechercher des laboratoires qui sont intéressants, pour pouvoir travailler avec eux », témoigne-t-elleCes salariés passent plus de temps qu’avant à démarcher des laboratoires extérieurs ou des start-up. Selon les chiffres fournis par le ministère de la Recherche, 85% des chercheurs consacraient 100% de leur temps à faire de la recherche et du développement en 2005. Ils étaient moins de 60% en 2013.

Faux rapports, brevets dans des paradis fiscaux… une fraude organisée

Les entreprises peuvent aussi transférer le gain de ce crédit en payant une fausse licence dans un paradis fiscal. La secrétaire générale de Solidaires finances publiques, Anne Guyot-Welke, explique cette astuce complexe : « Il y a souvent un mécanisme d’optimisation fiscale. L’entreprise initiale fait une dépense de recherche sauf qu’elle va vendre son brevet, souvent à l’intérieur d’une même filiale qui est dans un paradis fiscal. Du coup, l’entreprise paie moins d’impôt sur les sociétés. Beaucoup l’utilisent comme un moyen de payer moins d’impôt sur les sociétés en France », explique-t-elle.

Le rapport de la Cour des comptes indique que les abus pour décrocher le crédit d’impôt se développent. « L’existence d’un remboursement anticipé du crédit d’impôt crée le risque que des sociétés éphémères se constituent uniquement pour bénéficier du CIR », souligne le texteEn réalité, une véritable industrie de la triche s’est mise en place. Patrick, ex-salarié d’une société bénéficiaire du CIR basée à Sophia Antipolis dans les Alpes-Maritimes, raconte qu’on lui a explicitement demandé de truquer un rapport. « On prenait des articles existants en anglais qui avaient un lien avec notre domaine de travail. On les traduisait et on les triturait pour qu’ils ne ressemblent pas trop à l’original. J’ai accepté d’en faire un. Et puis je leur ai dit que j’avais ‘un goût de merde’ dans la bouche, que je ne voulais plus en faire », confie-t-il.

Des sociétés de conseil proposent même aux entreprises de leur procurer de faux dossiers. François, un de ces consultants, qui souhaite rester anonyme, explique la stratégie. « Je repère ce qui est innovant dans leurs procédés et je vais chercher des thèses qui correspondent à ce domaine. Ensuite j’imagine les recherches qu’auraient pu faire les entreprises », raconte-t-il.

Des dépenses sans rapport avec la recherche

La majorité des cabinets de conseil se rémunèrent en exigeant un pourcentage du crédit d’impôt décroché par l’entreprise. Beaucoup d’entreprises intègrent, dans le calcul du CIR, des dépenses qui n’ont aucun lien avec lui. « Je crois que 40% des dépenses déclarées par les entreprises pour être exonérées et profiter du CIR n’ont pas de rapport direct avec la recherche et le développement, cette pratique augmente en flèche, souligne l’économiste Dominique Plihon, professeur à l’université Paris XIII et membre du collectif des économistes atterrésCe sont plutôt des dépenses commerciales et administratives. »

Des incitations… à ne pas contrôler 

Si des contrôles existent et pourraient ralentir le développement des fraudes, ils s’organisent difficilement. Ils sont réalisés par le ministère des Finances pour la partie comptable, et par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche pour la réalité de la recherche. Les besoins financiers ainsi que le temps nécessaire à l’élaboration de ces contrôles sont tels que dans certaines régions, comme en Rhône-Alpes ou en Bourgogne, des critères sont établis pour choisir les entreprises à contrôler. Comme l’indique un courrier, la Direction générale des finances publiques (DGFIP) demande à ses agents de ne pas contrôler celles qui touchent moins de 100 000 euros de crédit d’impôt recherche par an.

Comment faire face à ces fraudes présumées ? Pas simple, car il est difficile de multiplier les contrôles selon Anne Guyot-Welke, secrétaire générale de Solidaires finances publiques (principal syndicat des impôts). « Les vérificateurs ont des objectifs de12 à 13 vérifications par an. Pour certains axes de recherche, on sait qu’on part dans une entreprise pour longtemps. Il nous faut de tels moyens derrière que c’est compliqué de vérifier le fondement de ce CIR », souligne-t-elle.

Des contrôles sur la base de dossiers remplis par les entreprises elles-mêmes

En 2016, le ministère de la Recherche a reçu 975 demandes d’expertises pour près de 24 000 entreprises déclarant du CIR, ce qui représente 4 à 4,5% d’entreprises contrôlées. Et lorsqu’elles se font contrôler, les entreprises qui trichent peuvent encore passer entre les mailles du filet. Une très grande majorité de ces contrôles a lieu en effet sans qu’aucun expert ne se déplace. L’entreprise remplit elle-même le dossier de contrôle. Patricia Egard, qui a lancé en 2011 sa start-up Ideas Voice, une entreprise française qui aide les start-up à se développer, peut en témoigner. « Il a fallu que je décrive tous mes travaux. Si le ministère de la Recherche et du Développement n’est pas d’accord, on a des nouvelles. C’est très difficile d’avoir des conversations avec eux. Ils ne s’appuient que sur l’écrit », explique-t-elle.

Et si les chiffres sont contestés, il est encore possible de frauder. Un conseiller anonyme révèle avoir produit de faux rapports dans le délai octroyé par le fisc suite à un contrôle qui s’est mal passé. Résultat : le redressement a considérablement diminué, passant de deux millions d’euros à 500 000 euros. Cela représente un manque à gagner pour le fisc, puisqu’il récupère autour de 200 millions d’euros de redressement par an tout en ne contrôlant que 4% des entreprises. On peut aisément en déduire que l’Etat pourrait récupérer bien plus d’argent s’il contrôlait plus d’entreprises.

Un « effet Kleenex » sur l’embauche de jeunes chercheurs

Un groupe de chercheurs a étudié les chiffres mis à disposition par le gouvernement. Parmi eux, François Métivier, chercheur à l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP) et membre de l’association Sciences en marche. Celle-ci, dans un rapport sur le CIR (document PDF), dresse un constat sans appel. « À l’échelle de l’ensemble des entreprises françaises, si on prend la totalité de la créance, qu’on regarde l’évolution du coût pour l’Etat, et qu’on le compare aux emplois nouveaux créés en recherche et développement, on constate qu’il n’y a aucune corrélation. En proportion, il y a une augmentation à peine décelable », affirme-t-il. La proportion d’emploi de jeunes doctorants en recherche et développement a même baissé, passant de 15% en 1997 à 12% en 2011.

L’autre pratique que permet ce système consiste à engager un jeune doctorant en premier emploi, à décrocher le bonus pendant les deux premières années, puis à s’en séparer avant qu’il ne coûte de l’argent. Le chercheur François Métivier a observé cette pratique dans une petite entreprise de deux employés, où un jeune docteur a été licencié après sa période d’essai de quatre mois. Dans ce cas précis, non seulement le salaire du jeune doctorant peut être déduit de 120% les deux premières années, mais en plus, s’il est envoyé travailler dans un laboratoire extérieur, son hébergement peut être facturé le double de son prix réel. Quand l’entreprise dépense 200 euros pour le chercheur et le laboratoire, elle peut donc déclarer 320 euros au titre du crédit d’impôt recherche.

Des entreprises qui déménagent une fois les fonds perçus 

Certaines grandes entreprises développent des brevets grâce à l’argent du CIR. Mais lorsque ces brevets rapportent, elles peuvent déménager à l’étranger pour les exploiter. « Des salariés de Schlumberger à Clamart sont confrontés à un deuxième plan dit de sauvegarde de l’emploi. En réalité, Schlumberger liquide une grosse partie de ces chercheurs pour les transférer aux Etats-Unis. Nous craignons la mobilisation de fonds public aveugle, sans exigence réelle de résultat, constate la sénatrice Brigitte Gonthier-Maurin dans sa propre circonscription.

La fermeture de tous les centres de recherche en France semble donner raison à Dominique Plihon. Intel a ainsi supprimé 750 emplois, quand le centre d’innovation d’Airbus de Suresnes, en région parisienne, en a supprimé presque un millier.

A contrario, d’autres pensent que sans ce crédit d’impôt, la situation serait pire. C’est notamment l’avis de Patricia Egard, de Ideas Voice. « Aux États-Unis, on peut avoir ce type de projet parce qu’il y a tout de suite des investisseurs d’accord pour mettre de l’argent et attendre un retour sur investissement au bout de dix ans. En France, il n’y a pas un seul investisseur qui est prêt à faire ça. Merci au crédit impôt recherche et merci à l’Etat français ! » clame la chef d’entreprise.


Marjolaine Koch, France Info, Radio France –  France Info  – Source