Qui l’eût cru ?

Quelques jours seulement après les débuts de l’actuelle Commission européenne, un grand scandale éclatait, qui augurait très mal des agissements de la nouvelle équipe en matière fiscale.

Le « LuxLeaks » révélait à la face du monde que le Luxembourg avait offert à des centaines de multinationales des conditions fiscales anormalement généreuses, permettant à ces dernières d’y localiser leurs profits européens et de réduire, ainsi, le montant des impôts qu’elles paient dans les autres pays du continent.

Or le nouvel exécutif européen était dirigé par… Jean-Claude Juncker, pilier de la vie politique luxembourgeoise depuis une vingtaine d’années et soupçonné d’être associé, de près ou de loin, à cette stratégie du grand-duché.

Quatorze mois plus tard, le constat s’impose : la Commission a tenté de racheter ce péché originel. Au plan réglementaire, le cadre a changé : désormais la pratique des « rescrits fiscaux », ces accords entre un Etat et une entreprise qui ne sont pas condamnables en tant que tels, est encadrée. En particulier, les administrations fiscales doivent s’informer mutuellement lorsqu’elles signent un tel accord avec une société.

Le règne de l’opacité a vécu, même si les observateurs les plus critiques regrettent que la transparence ne soit pas allée au point d’obliger les États à communiquer au grand public ces dispositions fiscales préférentielles. La sanction n’est guère dissuasive Surtout, l’exécutif européen est monté au créneau par le biais de sa Direction de la concurrence. En utilisant ce raisonnement : s’il n’est pas interdit de passer un accord fiscal simplifiant les procédures pour une société, encore faut-il que celui-ci ne constitue pas une discrimination flagrante pour les concurrents. Et la commissaire à la Concurrence, Margrethe Vestager, a commencé à sanctionner.

Deux entreprises ont déjà été condamnées : Starbucks et Fiat. Dans un cas, c’est le Luxembourg qui avait accordé un traitement de faveur excessif, et dans l’autre, les Pays-Bas. A chaque fois, les mécanismes se ressemblent : les multinationales ont pu rapatrier sur ces territoires, dans des structures qui étaient en réalité des coquilles presque vides, une partie de leurs profits européens. Bruxelles a donc pu condamner les deux groupes à payer, rétroactivement, les sommes qu’ils auraient dû payer si la méthode de calcul n’avait pas été biaisée.

Problème : la sanction n’est guère dissuasive, ni pour les entreprises ni pour les États…

Mais Bruxelles ne compte pas en rester là.

Question de personnalité ? Margrethe Vestager s’est taillé, dans son pays, une réputation de femme politique volontariste et a continué sur la même lancée à Bruxelles en croisant le fer avec des groupes comme Google ou Gazprom sur des questions d’abus de position dominante.

En matière fiscale, elle a annoncé la couleur en lançant des investigations contre des sociétés symboliques de la mondialisation : Amazon et Apple sont dans son viseur. La marque à la pomme pourrait connaître assez rapidement le verdict de Bruxelles. Elle est soupçonnée d’avoir bénéficié, cette fois, des largesses de l’Irlande. Et, tout récemment, une enquête a été lancée contre McDonald’s, soupçonné d’avoir largement échappé à l’impôt en Europe, via des mécanismes de paiement de redevances à une structure… luxembourgeoise.

La tâche qui a assombri la prise de fonctions de Jean-Claude Juncker risque d’être tenace.


Titre original de l’article « Evasion fiscale : Amazon, Apple et McDo dans le viseur de Bruxelles » – Auteur : Grésillon Gabriel, Les Echos – Source