Arnaud Rousseau

… un personnage

En 2010, il a bien failli y passer. Une seconde d’inattention, et le voilà qui chute de 9 mètres dans un silo à grains. Les deux jambes brisées, il réussit à remonter à la force des bras. C’est beau comme du Rambo.

Quelques mois plus tard, cet officier, passé par l’école des réservistes de Saumur, fait à pied les 1 500 km qui le séparent de Saint-Jacques-de-Compostelle.

Combien de fois le nouveau patron de la FNSEA, nuque bien dégagée et regard direct, a-t-il raconté, sur le ton de la confidence, cette anecdote à la presse ? Difficile de le savoir, mais disons que les confrères sont nombreux à la connaître.

Le message est simple : Rousseau est un bonhomme, il est « carré » et « militaire dans son approche ». Ça suffit, les doutes et les pleurnicheries, Arnaud va vous secouer tout ça, cette bande de geignards, car c’est justement son programme : « L’agriculture française doit sortir de la complainte permanente. » Ce qui ne l’a pas empêché, sitôt élu à la tête de la FNSEA, d’appeler l’Etat au secours pour aider la filière bio, en grande difficulté, et essayer du même coup de verdir son image.

Ce gros céréalier d’Ile-de-France n’est pas dévoré par le doute et entend bien que ses troupes foncent tête baissée : allez, les p’tits gars, on continue ! Ne vous laissez pas emmerder par les écolos, par tous ces écoterroristes : « Les agriculteurs sont les premiers écologistes, tout le monde le sait. » Surtout en Bretagne. Quand on vous parle des pollutions liées aux pesticides, répondez, comme moi : « Le sujet, c’est qu’on perd des parts de marché. »

Gros poisson d’Avril

Ne vous laissez pas séduire par les « sirènes de la décroissance », et répétez tous en chœur : « Nous portons une vision à dix ans pour sauver la ferme France. » Pas mal, non ? Evidemment que nous ne sommes pas « productivistes », nous voulons « continuer à produire », nuance. Si vraiment on persiste à vous les briser menu, utilisez l’expression magique : « souveraineté alimentaire ». Et, maintenant, déroulez l’argumentaire : si vous voulez crever de faim dans ce monde de plus en plus incertain, alors continuez comme ça, supprimez l’herbicide S-métolachlore après les néonicotinoïdes, et vous verrez vos rayons se vider.

Comment ça, le métolachlore a été classé substance cancérigène par l’Agence européenne des produits chimiques ? Bullshit ! Et vous concluez en disant que vous êtes partisan d’« une agriculture offensive » mais « ouverte au dialogue ». Croyez-moi, ils vous laisseront tranquilles. J’ai fait une école de commerce, je sais de quoi je parle. La biodiversité ? Désolé, connais pas.

Après l’obtention de son diplôme de « business school », Arnaud Rousseau est entré chez le géant des huiles Avril, dont il est aujourd’hui le président. Avril, pour le consommateur, c’est Lesieur, Puget, Isio 4, mais c’est aussi une position dominante dans les agrocarburants, filière dans laquelle Avril s’est engouffré depuis trente ans avec le Diester, mélange de colza et de tournesol.

En plus de son poste de patron d’Avril (9 milliards de chiffre d’affaires), Rousseau dirige une exploitation de 700 ha, préside la puissante Fédération française des producteurs d’oléagineux et de protéagineux, est maire de sa commune de Trocy-en-Multien (Seine-et-Marne), vice-président de la communauté de communes… Un gros gourmand.

Sentir le vent du poulet

Lors de son intronisation au congrès d’Angers, Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture, est venu lui baiser la babouche. « Rousseau, on aurait carrément dû le nommer ministre, ça aurait été plus clair », rigole José Bové. « Le drame, c’est qu’il incarne la ligne la plus dure de la FNSEA, la plus agrobusiness, la plus productiviste. Et, comme toujours, ces gros bonnets de la FNSEA n’hésiteront pas à poignarder la base, surtout les éleveurs, dans le dos, accuse l’agronome Benoît Biteau, eurodéputé écologiste . Ils investissent des sommes colossales dans des filières qui concurrencent les agriculteurs français, ils sont en permanence dans le conflit d’intérêts. »

Un exemple ? Le 4 avril 2014, dans l’émission « Capital », la caméra suit des éleveurs de la FNSEA venus protester contre un arrivage massif de poulets brésiliens. Le journaliste leur montre alors un document prouvant que le pédégé de la firme importatrice n’est autre que le président de la FNSEA de l’époque, Xavier Beulin, qui les avait incités à manifester. Interpellé au Salon de l’agriculture, Beulin lâche calmement : « On ne fait rien d’illégal. »

Feu Beulin, lui aussi président d’Avril jusqu’en 2017, fut le mentor de Rousseau. Rien à dire, la formation a été efficace, les éléments de langage sont bien maîtrisés, l’appareil du syndicat sous contrôle – il a été le seul candidat. Le fils spirituel est très prometteur, rien ne va changer, promis-juré.


Anne-Sophie Mercier. Dessin de Kiro. Le Canard enchaîné. 26/04/2023


3 réflexions sur “Arnaud Rousseau

  1. laurent domergue 06/05/2023 / 11h40

    Mafia au service du Capital ! Comment les petits adhérents peuvent ils se laisser berner ?! La peur , le chantage , les menaces c’est affligeant et terrible !

  2. bernarddominik 06/05/2023 / 20h50

    Oui Laurent Domergue a le mot juste. C’est affligeant.

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