… et président du Chaos. Sophie Binet
Note : une interview moins informelle sur la personne de Sophie Binet que le précedent article du canard. Juste pour info. MC
Rencontre avec la nouvelle secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, qui ne cache rien de sa détermination : la promulgation de la loi, « de nuit, en catimini », ne met pas fin à la bataille. Prochain rendez-vous le 1er mai, avec la volonté de maintenir l’unité syndicale.
La loi sur les retraites a été promulguée. C’est fini ?
« Non, ça n’est pas fini. L’ensemble des organisations syndicales appelle à continuer les actions, les grèves, et à faire du 1er mai une journée historique de mobilisation pour réclamer le retrait de cette réforme. Le Président est depuis le début dans une logique de passage en force : il espère mettre un coup de bambou sur la tête de ceux qui se mobilisent.
Franchement, c’est de la provocation, et ça montre tout le mépris qu’il porte aux organisations syndicales et à la démocratie sociale… D’autant que le texte est encore plus déséquilibré qu’il ne, l’était, avec la censure de toutes les dispositions qui visaient à améliorer l’emploi des seniors ou à répondre à la pénibilité. »
Et après le 1er mai?
« Une mobilisation se construit au jour le jour. En promulguant la loi dans la nuit, en catimini, Macron ferme toutes les portes de sortie du conflit dans une forme de radicalisation très inquiétante. Il était le président des riches, il est en train de devenir le président du chaos. Les organisations syndicales et les salariés ont fait preuve de beaucoup de responsabilité, mais face aux passages en force, aux bras d’honneur, la colère monte. »
La colère et les violences ?
« S’il y avait autant de violences que de colère, le pays serait en feu ! Car la colère est très, très forte. Mais la responsabilité est également très forte chez les syndicats et les salariés… Emmanuel Macron joue avec le feu de colère du pays, et joue avec le feu du Rassemblement national. C’est une trahison de plus : Macron n’a pas été élu pour réformer les retraites; il l’a été pour faire barrage au Rassemblement national. Et il fait tout l’inverse : avec sa politique, il ouvre un boulevard au Rassemblement national. »
Le 1er mai 2002, vous aviez 20 ans et vous manifestiez contre Jean-Marie Le Pen, qualifié pour le second tour de la présidentielle. Vous vous préparez à recommencer au printemps 2027 contre sa fille ?
« En 2002, c’était un électrochoc, qui a beaucoup contribué à ma prise de conscience politique. Depuis, il y a une banalisation des idées d’extrême droite… Et s’il y avait demain un second tour Macron-Le Pen, avec une politique de cette violence, les organisations syndicales auraient beaucoup de mal à adopter les mêmes positions que dans le passé. »
Donc, que faites-vous après le 1er mai ? Il faut bien sortir de la crise…
« Il faut que le président, dans un moment de sagesse, se retourne vers le peuple avec un référendum d’initiative partagé (RIP) pour sortir du blocage entre l’Élysée et le peuple français. Si le Conseil constitutionnel ne valide pas le RIP, la crise démocratique tournera à la crise de régime, dans une impasse constitutionnelle. »
La solidité de l’intersyndicale a surpris. Comment l’expliquez-vous ?
« Nous sommes rassemblés par notre détermination à obtenir le retrait de cette réforme. Par la conscience aussi que l’unité joue un rôle central dans la mobilisation : elle est demandée par les salariés, elle se construit aussi par en bas. »
Une unité ponctuelle ?
« Elle laissera des traces. La CGT porte dans son ADN la volonté d’unité syndicale, car des syndicats et des salariés unis sont plus forts. Nous voulons faire durer cette unité au-delà de la question des retraites pour peser plus fort face au gouvernement et au patronat. »
L’image des syndicats s’est-elle améliorée ?
« Oui, nous en sommes depuis le début de l’année à quasiment 30 000 demandes d’adhésion… La lutte aujourd’hui se focalise surtout contre le président de la République, car c’est Emmanuel Macron qui veut cette réforme, on a bien compris qu’Élisabeth Borne n’y était pas pour grand-chose. Mais se syndiquer, c’est d’abord agir sur son quotidien, pour faire bouger ses conditions de travail et de vie. C’est par en bas qu’en construit le rapport de force, et l’amélioration de notre image, les adhésions, vont renforcer notre poids. C’est pourquoi nous affirmons que nous allons sortir victorieux de ce mouvement. »
L’image de la CGT n’est-elle pas brouillée après son congrès très tendu ?
« Non, car l’issue du congrès était très claire, avec un document d’orientation et une direction largement approuvé. La CGT a montré que la démocratie n’est pas pour elle juste une façade. »
On vous dit élue « par défaut »…
« Il est vrai que je n’avais pas du tout prévu d’être élue. Après, les fédérations, les unions départementales, les syndicats ont estimé que je pouvais aider à rassembler la CGT. Je suis une secrétaire générale par surprise, mais pas par défaut ! »
Allez-vous travailler avec Mélenchon et la Nupes ?
« Les syndicats doivent avoir des relations avec les organisations politiques, notamment progressistes. Des relations claires, apaisées, respectueuses des rôles et des forces de chacun. Et dans ce conflit, il a été important de pouvoir travaillé avec la Nupes, notamment sur le référendum d’initiative partagé. Mais la mobilisation n’aurait pas eu cette ampleur si elle avait été initiée par des organisations politiques ».
Quel genre de secrétaire générale serez-vous ?
« (Rires) Je ne sais pas. J’essaie d’écouter un maximum, d’aller jusqu’au bout des débats, et de trouver ce qui rassemble, pour ne pas rester dans une logique de bloc contre bloc. Je fonctionne un peu comme les shadocks : s’il n’y a pas de solution, c’est qu’il n’y a pas de problème ! »
« Je ne rentre jamais dans les cases », avez-vous dit…
« Ça correspond un peu à mon parcours… Rentrer dans les cases, ce n’est pas mon truc : il faut garder son esprit critique, ne pas s’enfermer avec des personnes qui nous ressemblent. »
Francis Brochet. Le Dauphiné Libéré. 16/04/2023
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