Espagne : Sânchez, pas sans sièges

Les régionales en Catalogne donnent son Parti socialiste largement en tête face aux indépendantistes, avec lesquels il devra néanmoins trouver des alliances.

Il est sacrément culotté, « El Guapo ».
En espagnol, ça veut dire « le beau gosse », et il est vrai que Pedro Sanchez n’est pas trop mécontent de sa silhouette longiligne et de son visage, sur lequel le temps n’a guère de prise.
On le dit aussi narcissique que Macron. Difficile de trancher en faveur de l’un ou de l’autre, mais il faut reconnaître que le Premier ministre espagnol, au pouvoir depuis six ans, est assez « no limit ».
Le mois dernier, outré qu’un mouvement d’extrême droite, Manos Limpias (« mains propres »), ait porté plainte contre sa femme, Begoria Gômez, pour conflit d’intérêts — en s’appuyant sur des enquêtes publiées dans la presse conservatrice —, il a mis en scène un ras-le-bol quelque peu surjoué, et son retrait de la scène politique pendant presque une semaine. Malin comme un singe, il est allé voir le roi Felipe VI, puis s’est enfermé dans le silence.

La rumeur a enflé, de Madrid à Valence, de Séville à Cordoue : Sanchez s’en irait ! Des milliers de sympathisants se sont rendus devant le siège du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) pour le supplier de n’en rien faire.

Et, devant tant d’affliction, devant tant de larmes versées, Sanchez a annoncé qu’il restait, sur un mode modérément humble : « J’ai décidé de continuer avec plus de force encore, si c’est possible. » Puis il s’en est pris à ceux qui osent douter de la probité de son épouse : « Un mouvement réactionnaire mondial qui aspire à imposer son agenda régressif au moyen de la diffamation et du mensonge. »

Puigdemont et merveilles

Bref, il y aurait une conspiration mondiale des fascistes pour le faire chuter. La réalité est un peu moins romanesque : si la majorité des juristes espagnols considère que le conflit d’intérêts n’est pas évident, ils sont nombreux à penser que le comportement de sa femme « pose question ».

En tout cas, la petite manip politique de Sanchez, sévèrement taclée par Felipe Gonzàles, son illustre prédécesseur, a opportunément permis de faire oublier les affaires de corruption liées aux achats massifs de masques à l’époque de la pandémie de Covid et dans lesquelles son parti est englué.

Le gros morceau pour lui, désormais, s’appelle Caries Puigdemont. Car l’ex-président indépendantiste de la Catalogne, qui n’affiche pas un amour immodéré de l’Espagne, entendait bien redevenir le patron sur ses terres, à l’occasion du scrutin du 12 mai. Or Pedro Sanchez a joué à un drôle de jeu avec Puigdemont, condamné à de la prison ferme en raison du réfé­rendum d’autodétermination illégal organisé en Catalogne en 2017. En échange du vote de députés indépendantistes catalans qui lui ont permis de rester Premier ministre en 2023, il l’a amnistié, avec 400 de ses camarades.

La situation est ubuesque : Sanchez a remis dans le jeu Puigdemont, qui s’était pourtant lentement marginalisé en Catalogne, mais il doit absolument le devancer politiquement pour prouver que sa stratégie de la main tendue, très contestée, y compris dans son propre camp, est la bonne.

Avec 42 sièges, contre 35 pour Puigdemont, les socialistes ont pour l’instant gagné leur pari. Mais il va leur falloir faire des alliances et prouver qu’ils peuvent gouverner. A moins de 68 sièges, pas de gouvernement ! Et, si pas de gouvernement, retour aux urnes en octobre avec Puigdemont de nouveau en embuscade. Oups.

Alliance en toute indépendance

L’alliance des socialistes avec les députés indépendantistes va se poursuivre, car Sanchez a besoin de leurs votes. Une telle alliance n’a rien pour calmer la violence des débats dont il se plaint. « Il y a certes une nette crispation de la vie politique en Espagne, qui date des années où José Marta Aznar menait une guerre sans merci contre Felipe Gonzdles, cingle l’historien Benoît Pellistrandi, auteur du livre « Les Fractures de l’Espagne » (Gallimard, 2022). L’alliance incohérente des socialistes avec ces nationalistes identitaires est en soi problématique. »

Pour affronter les vents possiblement mauvais qui se lèvent, Pedro Sanchez pourra invoquer son bilan : une croissance cinq fois plus importante que la moyenne de la zone euro en 2023, une réforme des retraites bien menée, un salaire minimum revalorisé de 50 % et une loi sur les droits des LGBTQ. Il pourra aussi s’appuyer sur son expérience politique : première motion de censure réussie de l’histoire de la démocratie espagnole, premier gouvernement de coalition, alliance avec Podemos après avoir juré le contraire.
Prêt à tout, inoxydable. Sans grande surprise, son autobiographie s’intitule « Manuel de résistance ».

Les ors du pouvoir et la posture du guérillero. Il n’est pas fort, Pedro ?


Anne-Sophie Mercier. Dessin de Kiro. Le Canard enchaîné. 15/05/2024


Une réflexion sur “Espagne : Sânchez, pas sans sièges

  1. tatchou92 21/05/2024 / 23h54

    C’est beau comme un camion et cela me tire des larmes..

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