… Ruth ElKrief, à sa façon uniquement !
Il y a quelques années, Ruth Elkrief témoignait de sa panique face au mouvement des Gilets jaunes, réaffirmant par là un certain mépris de classe et une évidente posture : maintenir l’ordre social. Rebelote le 26 février 2024, sur LCI, cette fois en réponse au mouvement des agriculteurs.
La journée d’inauguration du Salon de l’agriculture, le 24 février 2024, a entre autres été marquée par la présence d’Emmanuel Macron, qui est resté au salon durant près de 13 heures – une « actualité » qui a par ailleurs fait jaser dans quasiment toutes les rédactions.
Cette visite ayant été perturbée par une mobilisation d’agriculteurs, pour la plupart réprimés illico presto par les CRS, elle a inévitablement donné du grain à moudre à l’éditocratie de salon. Sur le plateau de LCI (26 févr.), David Pujadas ouvre le débat et pose la question à Ruth Elkrief : « Emmanuel Macron très critiqué, mais vous dites ce n’est pas là, ce n’est pas vers lui que doit aller notre indignation. Alors vers qui ? »
Et l’éditorialiste Ruth Elkrief de donner les consignes — « Parti paris : là où doit aller notre indignation » — et de faire le parallèle entre mobilisation des agriculteurs et Gilets jaunes, se disant ouvertement traumatisée (à l’instar de la plupart de ses collègues) par les violences, qui, comme on le sait, ne vont toujours que dans un sens : Mais moi, ce qui m’a indigné d’abord, sincèrement, ce sont les images de violence qui sont réapparues sur nos écrans un samedi. Vous voyez, c’est une forme de traumatisme pour moi. Le samedi, revoir les images de violence, ça rappelle les Gilets jaunes et ça m’a beaucoup choqué.
Puis de décrire les images de la journée de samedi, avec un champ lexical digne d’un scénario de film catastrophe : Au lever du jour, le président a dû entrer par une porte dérobée dans le Hall 5 du parc des Expositions, c’est le journal Le Monde qui raconte dans le détail, protégé par le GSPR, le groupe de sécurité de la présidence de la République. Regardez cette cloison qui tombe, qui s’effondre parce que dehors l’attendaient les agriculteurs devant un brasero pour l’empêcher d’entrer.
Dès qu’ils ont entendu qu’il arrivait, ils se sont précipités, ils ont escaladé les barrières et regardez, voilà ce que, ce à quoi on a… ils ont fait paniquer les animaux quand même ! Alors, ils ne sont que 300 à 400, d’accord, mais ils disent : « La chasse au Macron est ouverte ». Pardon ? Ils disent : « où est-il ? »
Ils enfoncent les cordons de policiers. Ils… ils progressent dans le salon. Ils obligent en fait les compagnies de CRS à rentrer dans le salon. Elles étaient à l’extérieur, elles rentrent dans le salon pour repousser les agriculteurs.
Et manifestement, trop, c’est trop : On entend « Macron démission ! », on entend même « destitution ». « Manu, tu descends ? » Bon OK, enfin ce n’est pas possible ! C’est… je suis une ringarde. OK, je suis ringarde, je vous le dis, mais on ne parle pas comme ça au président de la République, quel qu’il soit. Il y en a assez d’utiliser la violence physique et verbale pour se faire entendre.
Et ainsi de suite, tout y passant, comparaison avec Trump incluse.
Aux syndicats, elle assène : « Vous ne pouvez pas être des interlocuteurs sérieux si vous n’arrivez pas à tenir vos troupes. », avant de conclure : « Nous sommes dans une société démocratique. Moi, je suis pour discréditer ceux qui hurlent à l’Assemblée, dans la rue. On ne doit pas accepter le retour des Gilets jaunes, ce populisme violent ».
Le tout sans jamais, bien entendu, aucune contradiction ni question supplémentaire de David Pujadas, manifestement impressionné par tant de rigueur journalistique — mais s’agit-il seulement de journalisme ?
Les indignations de Ruth Elkrief ont en tout cas un mérite : verbaliser les angoisses éditocratiques, et rappeler le rôle qu’ils jouent consciemment ou non : maintenir l’ordre social. Ruth Elkrief nous autorisera-t-elle à nous en indigner ?
Acrimed – Médiacritiques n° 50 avril et juin 2024
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