Prof, suspendu à titre conservatoire !

Mais, qu’a-t-il bien pu faire alors que l’éducation nationale manque de profs?

Pour avoir osé dire, que l’Éducation nationale n’a pas suffisamment protégé Samuel Paty, Jean-Christophe Peton, professeur de lettres et d’histoire-géo au lycée professionnel des métiers du bois, à Mouchard, dans le Jura, a été suspendu à titre conservatoire, avant d’être finalement réintégré devant la mobilisation de ses collègues et la médiatisation de son affaire.

Comme beaucoup d’autres professeurs, Jean-Christophe Peton ne décolère pas de la manière dont l’Éducation nationale a agi vis-à-vis de Samuel Paty. Alors il ne s’est pas gêné pour le clamer haut et fort, sur Pronote, la plateforme interne d’échanges numériques des enseignants.

En réponse à son proviseur, qui annonçait une minute de silence pour Samuel Paty le 15 octobre 2021, il écrit ce texte, qu’il nous a transmis : « Samuel Paty a été assassiné pour avoir défendu l’idée qu’on pouvait rire de tout, même et surtout avec les caricatures outrancières de Charlie Hebdo, parce qu’il n’y a rien de sacré en droit français, dans une démocratie laïque, et que la liberté d’expression ne s’arrête que devant les appels à la haine ou au racisme ou à l’antisémitisme (voire au sexisme) concernant des individus précis et non des clichés […] ».

Il ajoute : « Mais l’humour, l’ironie, reconnaissons que c’est toujours délicat, car les cons peuvent ne pas les comprendre ou affecter de ne pas le faire. […] ».

« Avant d’être égorgé, Samuel Paty a été abandonné par sa hiérarchie, l’Éducation nationale et ses sbires, et même tancé pour avoir montré des caricatures qui pouvaient heurter X ou Y ou Z », affirme l’enseignant […]

« Cette minute de silence, il faut la faire, pour lui, évidemment. Mais ne soyons pas dupes de l’hypocrisie de l’institution et de ses relais ».

« J’ai réagi avec un peu de panache verbal, reconnaît-il, sinon on ne vous lit pas! J’ai été lu plus que je ne le souhaitais. Il semblerait que certains n’ont pas goûté le deux « sbires »», raille-t-il. Il en profite pour poster son message sur Twitter et l’adresser au recteur de l’académie de Besançon. « Et pour le fun, j’adresse aussi ce tweet a mon honorable recteur », écrit-il. Cet honorable recteur n’est autre, d’ailleurs, que Jean-François Charnet, dont nous vous parlions sur le site de Charlie le 21 octobre, car il avait accepté – tout en le déplorant, en même temps. – qu’une Cheffe d’établissement enlève une gerbe en l’honneur de Samuel Paty déposée par un maire, au motif qu’elle était « clivante », car elle portait la mention « victime d’un terroriste islamiste ».

On lui signifie, lors de ce rendez-vous, qu’un professeur ne doit pas critiquer son institution ni sa hiérarchie, et qu’il n’aurait pas dû interpeller le recteur sur Twitter. On lui annonce alors qu’il est suspendu pour quatre mois à titre conservatoire. « Ils étaient en train de me dire que la liberté d’expression que j ‘ai à charge d’enseigner – avec ses limites légales d’appel à la haine-, je ne pourrai en faire usage que lorsque je serai à la retraite! J’ai mis fin à l’entretien », nous raconte-t-il. « Je suis sidéré qu’on me suspende. La suspension, c’est en cas de violence, de risque pour les élèves; moi, ma seule violence, c’était d’avoir critiqué l’Éducation nationale», ajoute-t-il.

Mais, pendant trois semaines, il ne reçoit toujours pas de courrier lui expliquant les motifs de sa suspension. Il la médiatise, plusieurs articles paraissent dans la presse. Interrogé par L’Express, le rectorat ne donne d’ailleurs pas la même version et assure que le « professeur a été sanctionné par suspension à titre conservatoire suite à l’utilisation d’un outil institutionnel et professionnel de communication, en l’occurrence l’environnement numérique de travail (ENT) à des fins de diffusion de propos personnels qui n’ont rien de pédagogiques ». Jean-Christophe Peton avait écopé par ailleurs d’un blâme pour de précédentes blagues graveleuses sur Twitter, sur un tout autre sujet.

Reste que, pour le corps enseignant, c’est bel et bien parce qu’il a osé critiquer l’institution que ce pro­fesseur est visé. Les collègues de son établissement ont adressé une lettre au recteur de l’académie pour qu’il soit réintégré. Preuve du ras-le-bol de la profession, cette sanction a suscité un soutien massif bien au-delà de son seul établissement. Sur Twitter, le hashtag #Toussuspendus s’est multiplié. Les Stylos rouges, collectif de profs indépendants, dénonce sur Twitter : «Le ministère du #PasDeVague qui avait envoyé un référent laïcité à Samuel Paty puis cafouillé sur l’hommage à lui rendre pour une profession traumatisée refait le coup du #PasDeVague et suspend un col­lègue qui a critiqué sa gestion. » L’Association des professeurs de lettres (APL), dont est membre Jean-Christophe Peton, a dénoncé elle aussi le «procédé scandaleux dont use le rectorat de Besançon ». Enfin, un mouvement intersyndical (CGT Éduc’action ; Syndicat national des enseignements de second degré – Snes -; Syndicat national unitaire de l’enseignement professionnel – Snuep -; SUD Éducation ; Syndicat national des lycées et collège – Snalc) s’est également formé pour demander l’abandon de toute procédure disciplinaire.

La mobilisation a finalement payé. Jeudi dernier, l’enseignant était à nouveau convoqué au rectorat, où on lui a annoncé sa réintégration immédiate. Il n’aura eu

que trois semaines de suspension au lieu de quatre mois. « C’était le pot de terre contre le pot de fer », témoigne-t-il auprès de Charlie. Nul doute que sans l’appui de ses collègues et cette médiatisation, il serait toujours suspendu.

« Lors du rendez-vous, on m’a fait une leçon de morale sur l’obligation de réserve. Cependant, j’ai répondu que je me réservais le droit de critiquer l’institution quand elle dysfonctionne »

Laure Daussy. Charlie Hebdo. 08/12/2021


3 réflexions sur “Prof, suspendu à titre conservatoire !

  1. bernarddominik 13/12/2021 / 16h52

    Je crois que ce professeur confond l’éducation nationale et le ministère de l’intérieur. Je ne suis pas sur que tous ces distingués professeurs sachent réellement ce qu’est la laïcité, dont chacun se sert pour ne pas cacher ses convictions, qui devraient pourtant rester hors de l’école.
    Oui je sais que j’ai tort en France on n’a pas le droit de critiquer les enseignants, mais leurs états d’âme commencent à être fatigants

  2. jjbadeigtsorangefr 13/12/2021 / 18h15

    Les enseignants aussi sont fatigués quand ils ne se sentent pas soutenus par leur hiérarchie face à des comportements contraires à la laïcité.
    Il ne faut pas faire de vagues, c’est pourtant à l’école publique que l’on apprend les règles du vivre ensemble
    Ceux qui ne veulent pas comprendre et refusent de s’y soumettre ne disposent pas d’autres choix que d’aller voir ailleurs.

  3. Danielle ROLLAT 13/12/2021 / 21h49

    Ce lamentable et mesquin incident lié à un assassinat, illustre bien les difficultés du « mammouth » !

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