Alain Minc-Rastignac !

Pendant de nombreuses années, Alain Minc a été l’un des symboles du capitalisme de connivence à la française. Éminence grise d’abord d’Édouard Balladur, du temps où il était premier ministre, puis de Nicolas Sarkozy, du temps où il était le chef de l’État ; conseiller occulte de quelques très grandes fortunes ; président du conseil de surveillance du Monde ; essayiste prolifique : il a longtemps joué les entremetteurs du capitalisme parisien.

Jouant perpétuellement de son influence dans l’un de ces univers, ceux des affaires, de la politique ou de la presse, pour en tirer avantage dans l’autre, il a tout au long des années 1990 et 2000 incarné l’extrême tolérance du système français aux conflits d’intérêts.

(…) Selon nos informations, le conseiller occulte s’est en effet fâché ces derniers mois avec ses deux ultimes protecteurs : Vincent Bolloré d’une part, Nicolas Sarkozy de l’autre. Et pour anecdotique qu’elles soient, ces fâcheries n’en sont pas moins l’indice qu’une page se tourne : avec la chute de Minc, c’est la crise du capitalisme de la barbichette qui s’accentue.

[Entre autre histoire,] Alain Minc avait recommandé à Nicolas Sarkozy de supprimer la publicité sur les écrans publics, ce qui devait conduire à la privatisation de la régie publicitaire de France Télévisions ; et dans quelles conditions il espérait en faire profiter l’un de ses clients, Stéphane Courbit, candidat au rachat de cette régie au travers de son groupe, Financière Lov, qui avait aussi pour actionnaire un dénommé… Alain Minc.

(…) La fâcherie entre Nicolas Sarkozy et Alain Minc est donc le point d’orgue d’une histoire prévisible, car le conseiller occulte a trahi un à un tous ses amis, apportant à d’autres les secrets qu’il avait initialement avec eux.

(…) Alors que pendant de longues années l’influence d’Alain Minc dans la vie parisienne des affaires a progressivement décliné, à partir du moment où il a été brutalement déchu de son poste de président du conseil de surveillance du Monde, il a pourtant gardé un client majeur, en la personne du groupe Bolloré.

(…) Au plus fort des turbulences à Canal+, à la fin de l’été dernier, Alain Minc s’est permis de dire à Vincent Bolloré qu’il avait tort de faire le « sale boulot » lui-même, et qu’il pourrait lui présenter quelqu’un qui s’en occuperait à sa place. D’après nos informations, Vincent Bolloré a très mal pris l’insistance de son conseiller et le ton est monté entre les deux hommes. Et désormais Vincent Bolloré ne veut plus jamais avoir à faire avec ce conseiller. Dans l’histoire du capitalisme oligarchique français, il n’y a pourtant jamais de véritable sanction.

(…). C’est donc désormais au service d’Alain Juppé qu’il s’est mis, l’héritier de Jacques Chirac qui avait pris en 1995 pour tête de turc Alain Minc, au motif qu’il voyait en lui le héraut de la « pensée unique ». Dans l’entourage du même Alain Juppé, Alain Minc a retrouvé Virginie Calmels, la principale collaboratrice du maire de Bordeaux, laquelle fut pendant longtemps l’une des figures de proue du groupe Endemol, dirigé par Stéphane Courbit, conseillé par Alain Minc. Drôle de petit marigot, car en vérité Virginie Calmels et Alain Minc se défient l’un de l’autre comme de la peste…

(…) C’est quoi qu’il en soit l’histoire d’un tout petit monde, celui de l’entre-soi mondain. Un petit monde de haines recuites et d’intérêts communs. Le petit monde en crise du capitalisme parisien…

Mauduit Laurent, Médiapart (Extrait) – Source