Lise Boëll

L’éditrice de Zemmour, de Villiers et de quelques auteurs du même bord est promise à un bel avenir dans la galaxie Bolloré.

Cette phrase, l’avait-il préparée, avait-il respiré à fond avant de la prononcer, pour éviter de se tordre de rire ? On ne le saura pas, mais, le 13 mars, les députés de la commission d’enquête sur les fréquences TNT, la télévision numérique terrestre, ont bel et bien entendu Vincent Bolloré dire distinctement en les regardant dans les yeux : « Je n’ai aucun projet idéologique, je suis tout doux et débonnaire. » Une forme de stupeur se lisait sur le visage du très pugnace rapporteur Aurélien Saintoul (LFI), mais personne ne broncha.

Il était là, plus matou que manitou, griffes rentrées, à expliquer que sa vie, désormais, serait consacrée à la philanthropie. Il parla bonheur, « générosité ». Pas d’inquiétude à avoir pour les chaînes gratuites de mon groupe, C8, CStar et CNews, je suis un gars apaisé et repu, j’aspire à l’amour et au don. N’ayez pas peur, mes agneaux, je vous ferai du management à la papa. Parfois, les commissions d’enquête sont de grands moments burlesques.

Aucun projet idéologique, évidemment. Pas plus pour ses journaux et ses chaînes que pour les maisons d’édition d’Hachette Livre tombées dans son escarcelle fin 2023. Et pas davantage pour Fayard, la pépite de son groupe, maison qui édita Soljenitsyne et Nabokov. Et, depuis quelques semaines, il n’est plus question de nommer Lise Boëll, éditrice de Zemmour et de Philippe de Villiers, à la tête de Fayard.

Pétage de Plon

« Vincent n’a pas apprécié les multiples papiers dans la presse sur la direction de Fayard, qui arrivaient juste au moment des auditions des cadres de Canal à l’Assemblée pour répondre aux questions de la fameuse commission d’enquête pour l’attribution des fréquences sur la TNT C’était trop d’exposition médiatique sur tous les secteurs du groupe, il a donc décidé de baisser la pression sur Fayard. Pour le moment », rigole un cadre dirigeant de Vivendi.

« Baisser la pression », c’est mettre Lise Boêll en position d’attente. Cette fille de pieds-noirs, diplômée de l’Ecole supérieure de publicité, est soutenue par le « doux » Bolloré, qui rêve de lui offrir la direction de Fayard… Elle est à peu près aussi « débonnaire » que son patron. Quand elle était à la tête de Plon, elle a réussi à mettre sur le départ une majorité des collaborateurs. Une enquête menée par un cabinet d’audit, pour savoir comment la dame avait mis à feu et à sang la maison qui avait autrefois édité le général de Gaulle, a parlé d’un management « dysfonctionnel et nocif ». Dans le même rapport d’audit, on parle de « relations professionnelles humiliantes et dégradantes ». Un vrai pétage de Plon. Elle a pris pour habitude de s’entourer de collaborateurs qui restent à l’extérieur de l’entreprise et de mettre sous pression les autres.

Reine des réacs

Avant d’arriver chez Plon, Lise Boêll a fait ses classes à TF1 Editions, puis à Canal Plus Editions. Elle en a gardé une vraie attirance pour les stars de la télé, qu’elle a publiées, de Benjamin Castaldi à Stéphane Bern.

Chez Albin Michel, elle a réussi à faire venir Zemmour et a édité « Le Suicide français », en 2014, puis « Destin français », en 2018. Les centaines de milliers de livres vendus, aussi bien avec l’éditorialiste du « Figaro » qu’avec l’Agité du bocage, Philippe de Villiers, la rendent intouchable. Un éditeur de chez Albin Michel, qui lui reproche les thèses développées par ses auteurs, est désavoué en interne. A-t-on quoi que ce soit à refuser à celle qui fait si souvent tinter le doux bruit du tiroir-caisse ?

Poussée chez Vivendi par Vincent le tout doux, mais aussi par ses lieutenants, dont Nicolas Diat, éditeur, chez Fayard, du cardinal Sarah, le très réac et homophobe prélat guinéen, Lise Boêll est devenue pour le milieu l’éditrice de la fachosphère. Elle s’est battue, sans succès, pour imposer à Albin Michel la publication du livre-plaidoyer du cardinal Barbarin, modérément concerné par les accusations d’agressions sexuelles sur mineurs dans sa région. « Facho, je ne sais pas si elle l’est, en tout cas elle est bien réac et très attirée par les paillettes », s’amuse une éditrice. Jordan Bardella, le président du RN, a travaillé avec elle sur un projet de livre, mais ce beau tandem semble à l’arrêt depuis que leurs relations se sont détériorées. Management nocif et dégradant ?

Pour le moment, Lise Boêll va rester à la tête de Mazarine, une filiale de Fayard. Ses auteurs seront édités sous le double label Fayard-Mazarine. Il faut juste trouver pour Fayard un PDG qui accepte cette tutelle qui ne dit pas son nom. Tutelle que n’a pas acceptée la précédente patronne de Fayard, Isabelle Saporta, qui a pris la porte. Le journaliste Sébastien Le Fol a été approché pour le poste et n’aurait pas refusé. Et si Lise Bell n’appréciait pas le nom de Mazarine et sa connotation par trop mitterrandienne ? « Créons-lui une maison à part, et on l’appellera « Bruit de bottes » ! » avait un jour explosé un ponte de l’édition, exaspéré par ses prétentions. Voilà une piste de réflexion.


Anne-Sophie Mercier, Dessin de Kiro. Le Canard enchaîné 24/04/2024


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