L’échec de la solution à deux États

La question palestinienne avait pu sembler soldée par la signature d’accords de normalisation entre Israël et plusieurs États arabes. L’attaque perpétrée par le Hamas l’a ramenée au premier plan, rappelant combien la réalité qui s’est imposée sur le terrain empêche toutes paix et sécurité durables.

Avant l’attaque du Hamas contre Israël, le 7 octobre 2023, il n’existait ni négociations ni « processus de paix » entre Israéliens et Palestiniens. Si les accords d’Oslo, signés il y a trente ans, prétendaient permettre une convergence des intérêts des deux parties, ils ont surtout renforcé la colonisation et l’occupation.

Un mois avant le déclenchement de cette nouvelle guerre, une enquête d’opinion du Palestinian Center for Policy and Survey Research (PSR) révélait que près de deux tiers des Palestiniens considèrent leur situation actuelle comme pire qu’avant 1993 (1).

Or, du point de vue israélien, le « processus de paix » et son pourrissement n’apparaissent pas nécessairement comme un échec.

Au contraire, comme l’explique la journaliste Amira Hass, du quotidien Haaretz (2), la création d’enclaves palestiniennes constitue l’« aboutissement d’un compromis interne à l’establishment israélien » : redéfinir les contours de l’occupation afin de faire disparaître politiquement les Palestiniens, les effacer du paysage israélien sans avoir à les expulser, voire sans annexer formellement la Cisjordanie a ainsi permis de réconcilier partisans de la négociation et opposants (3). La perspective d’un État palestinien pleinement souverain n’a donc jamais été à l’ordre du jour. […]

Dans une autre enquête d’opinion, le PSR établissait au début de l’année que jamais le soutien à une solution à deux États n’a été aussi faible dans les deux sociétés (4).

  • Côté palestinien, 33 % des sondés défendaient ce projet, contre 43 % en 2020.
  • Côté israélien, 39 % (34 % parmi les seuls Juifs) y étaient favorables.

Des données à relativiser dans leur interprétation : les Palestiniens ne se détournent pas de cette solution parce qu’ils n’en veulent plus, mais parce qu’ils la jugent désormais irréalisable. D’ailleurs, les solutions alternatives ne bénéficient d’aucun plébiscite : un État démocratique avec des droits égaux pour Israéliens et Palestiniens n’est soutenu que par 20 % des premiers, tandis que 23 % des seconds le pensent possible.

En trente ans, au moins quatre phénomènes expliquent que les populations palestiniennes ont cessé de croire à la solution à deux États, et abandonné tout espoir d’accéder ainsi à une souveraineté.

1) la colonisation des territoires occupés n’a jamais montré le moindre signe de ralentissement, et l’interdépendance entre les deux sociétés s’est renforcée. Si les Palestiniens dépendent de l’économie israélienne, les territoires occupés constituent un terrain d’expérimentation pour le complexe militaro-industriel israélien. C’est aussi une manne financière non négligeable pour le capitalisme foncier, qui spécule à sa guise sur les ressources spoliées aux populations locales.

2) l’Autorité palestinienne, censée jouer le rôle de proto-État, endosse bien plus souvent celui de supplétif de l’occupation en raison de sa coordination sécuritaire avec les forces israéliennes dans un contexte de dérive autoritaire de la présidence de M. Mahmoud Abbas. Cette dernière se montre par ailleurs complètement impuissante face aux ambitions annexionnistes du gouvernement d’extrême droite dirigé par M. Benyamin Netanyahou.

Les succès diplomatiques de l’Autorité — admission de l’État de Palestine à l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) en 2011, entrée à l’Organisation des Nations unies (ONU) en tant qu’observateur en 2012, puis reconnaissance, officiellement comme État partie, à la Cour pénale internationale en 2015 — n’y ont rien changé.

3) à la fragmentation des Palestiniens dans des enclaves isolées en Cisjordanie, et la séparation de celle-ci d’avec la bande de Gaza, s’ajoute la division de son leadership. La gestion autocratique de la Cisjordanie par le Fatah aggrave l’oppression des Palestiniens, au même titre que le régime autoritaire du Hamas dans la bande de Gaza.

Au sein de cette dernière, le blocus israélo-égyptien interdit toute souveraineté : les Palestiniens n’y contrôlent ni les espaces aérien et maritime, ni les entrées et les sorties de personnes ou de marchandises.

4) le « processus de paix », censé déboucher sur l’établissement d’un État palestinien, a essentiellement permis aux dirigeants israéliens de gagner du temps pour renforcer leur emprise sur les territoires occupés. […]

Dès le 7 octobre 2023, l’ensemble du champ politique israélien, à l’exception de la gauche anticoloniale et de quelques intellectuels, plaidait pour une opération de grande ampleur afin de « remporter la guerre » contre le Hamas.

Si tant est que l’élimination d’une organisation considérée comme un membre à part entière du mouvement national palestinien soit possible, on peut s’interroger sur ce que fera M. Netanyahou s’il reste au pouvoir.

Et s’il vient à le quitter, est-ce que le gouvernement de son successeur sera en mesure de définir une autre approche de la question palestinienne en assurant à tous les citoyens vivant entre la mer Méditerranée et le fleuve Jourdain des droits égaux, individuels et collectifs, quelles que soient leur origine et leur religion ?


Thomas Vescovi. Le Monde diplomatique. Source (extraits)


  1. « Public opinion poll n° 89 », Palestinian Center for Policy and Survey Research, 3 septembre 2023.
  2. Amira Hass, « For Israel, the Oslo accords were a resounding success », Haaretz, Tel-Aviv, 12 septembre 2023.
  3. Lire Dominique Vidal, « Cisjordanie, de la colonisation à l’annexion », Le Monde diplomatique, février 2017.
  4. « The Palestine/Israeli pulse, a joint poll summary report », Palestinian Center for Policy and Survey Research, janvier 2023.
  5. Michael Barnett, Nathan Brown, Marc Lynch et Shibley Telhami, « Israel’s one-state reality », Foreign Affairs, vol. 102, n° 3, New York, avril-mai 2023.
  6. Lire Akram Belkaïd et Olivier Pironet, « La jeunesse palestinienne ne s’avoue pas vaincue », Le Monde diplomatique, février 2018.
  7. Lire Charles Enderlin, « Fronde historique en Israël », Le Monde diplomatique, octobre 2023.

3 réflexions sur “L’échec de la solution à deux États

  1. bernarddominik 19/11/2023 / 9h42

    Le refus d’Israël d’appliquer les accords d’Oslo et son occupation de la Cisjordanie à entraîné son corollaire : le refus de l’existence d’Israël. C’est un pari fou d’Israël qui a choisi de vaincre le milliard de musulmans qui les entoure ou disparaître. Dans ces conditions je ne parierai pas un kopeck sur la survie d’Israël au delà de ce siècle.

    • Libres jugements 19/11/2023 / 13h55

      En ce qui concerne la dernière phrase de ton commentaire Bernard, temps que les USA Auront des devoirs et des obligations internes à travers son électorat juif; le territoire d’Israël existera d’autant que c’est une place stratégique justement dans ce monde musulman.
      Amitiés
      Michel

  2. Anne-Marie 19/11/2023 / 18h40

    Une partie de l’électorat juif des USA manifeste contre le génocide perpétré par l’Etat israélien.

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