« La paix est moins rentable que la guerre »

Bernard Lavilliers

Au printemps dernier, entouré de cordes, cuivres et bois, Bernard Lavilliers nous invitait au studio Guillaume Tell à Suresnes, écrin parfait pour enregistrer son nouvel opus. […]

  • Est-ce à une relecture de votre répertoire que vous nous invitez avec ce nouvel album ?

Nougaro parlait de « récréation », je parlerais d’une métamorphose. Avec 50 musiciens, on arrive à avoir une couleur et un son plus importants. Et l’énergie n’est pas la même qu’à trois avec de gros amplis. Il y a beaucoup plus de subtilité et d’émotion. […]

  • Les arrangements nous emmènent vers le Brésil, l’Argentine…

J’adore Tom Jobim ou Deodato, mais j’ai demandé de faire quelque chose qui ne soit pas trop épais. Avec autant de musiciens, c’est dangereux d’essayer de faire groover. Et je trouve que ça marche. Ça n’enlève rien au tempo. Il y a une sorte de rêve, comme dans un film.

Ça t’emmène vers Rio de Janeiro par des subtilités harmoniques. Sur le disque collector, il y a le concert symphonique que j’avais fait avec l’Orchestre national de Lyon, sur scène et très bien enregistré. Là, c’est en studio, un travail de laboratoire. Avec Cyrille Aufort et Xavier Tribolet, on a pu travailler avec une grande précision.

  • Comment avez-vous choisi ces 14 titres ?

J’ai repris l’essentiel de ce qu’on avait fait en concert avec l’Orchestre philharmonique de Radio France. J’ai enlevé des chansons et j’en ai rajouté d’autres. Puis, on a refait l’arrangement de certaines pour qu’elles soient plus puissantes. Et on a rajouté une chanson inédite, la Bandiera rossa, le drapeau rouge.

  • Pouvez-vous nous en dire plus sur cette chanson ?

Je l’avais écrite pour Serge Reggiani, il y a très longtemps, et je ne l’avais jamais chantée. Elle évoque les communistes italiens face à Mussolini. C’est une chanson militante, un hymne.

  • Une forme assez rare dans votre répertoire…

C’était écrit pour lui, avec sa voix, et il meurt… Je ne voulais pas la chanter. C’était plus crédible avec ce vieil Italien exilé pour des raisons politiques qu’avec moi.

C’est un poème, une chanson de lutte qui dit : « Si ces saloperies un jour reviennent, je sais de quel côté je serai. » Elle pose des questions au premier degré. Un journaliste m’a dit : « On dirait du Jean Ferrat. » Je lui ai répondu : « Ça me va, ce n’est pas si mal. »

  • « Il suffit d’un chant qui se rebelle pour que les autres se souviennent », y écrivez-vous. Croyez-vous au pouvoir d’une chanson ?

Il faut la chanter pour le savoir. J’ai chanté des tas de trucs qui sont malheureusement arrivés, comme dans mon dernier album avec le Cœur du monde. J’y dis que la démocratie peut tomber et que la guerre économique, au fond, ce n’est pas sérieux, qu’il va falloir que ça saigne.

J’ai écrit ça avant la guerre en Ukraine et, évidemment, celle au Proche-Orient. Quand je chantais ça, le public était un peu choqué. Pourtant, tout ça vient bien d’une guerre économique. Pas seulement de la folie des dictateurs, ni de la religion.

[…]

  • Dans Écrire sur place, le livre que vous venez de publier, vous retracez les voyages marquants de votre vie. À la fin du livre, vous écrivez : « Personne ne veut la paix parce qu’elle n’est pas rentable. »

Et c’est vrai ! C’est beaucoup moins rentable que la guerre. Regardez les Américains. Leur fortune, ils l’ont faite sur la Première et la Seconde Guerre mondiale. Ils sont devenus une puissance économique énorme grâce à la guerre.

  • Craignez-vous que la guerre n’embrase le monde ?

Je ne le crois pas. Pour le moment, en tout cas. Poutine en profite pour contrarier les démocraties européennes. Mais si c’était le chaos, je ne suis pas sûr que ça l’arrangerait. Au Proche-Orient, ils font la guerre depuis 1948. On parle beaucoup de terrorisme, mais il ne faut pas tortiller : la guerre, c’est sale, que tu la fasses avec des explosifs sur toi-même ou avec des missiles qui valent 2,5 millions d’euros. C’est sale, c’est cher et ça pollue. Personne d’ailleurs ne dit que ça pollue. Un seul missile, c’est 10 000 bagnoles au minimum.


Propos recueillis par Clément Garcia. Source (Extraits)


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