Une dizaine d’étudiantes et d’enseignantes, dont la philosophe Barbara Stiegler, dénoncent des violences sexistes et sexuelles à l’université Bordeaux-Montaigne, perpétrées par un professeur de philosophie, ancien vice-président. La gestion de l’affaire par l’administration est très contestée.
Le ton est rapide. La parole précise, méthodique.
Il est vrai que la philosophe Barbara Stiegler est une habituée des plateaux télé. Cette fois, il ne s’agit pourtant pas de débattre sur la fin du néolibéralisme ou la pensée de Nietzsche, mais de raconter une sale histoire dont l’enseignante-chercheuse à l’université de Bordeaux-Montaigne se serait bien passée.
C’était en mai 2020. Elle avait invité chez elle son ami de longue date, professeur de philosophie lui aussi, vice-président de l’université. Au cours de la soirée, il se serait jeté sur elle, lui imposant une pénétration digitale.
En clair, il l’aurait violée. « Nous avions un fonctionnement très familial. C’était comme un inceste que j’avais subi. Si je parlais, tout allait exploser. J’étais tétanisée. Sidérée. »
- Effondrée en larmes
S’ensuivra une semaine, assure-t-elle, « de harcèlement sexuel, hard. Par mails et SMS ». Elle se confie à un vieil ami, professeur de droit, quelques jours plus tard. « J’ai trouvé ça extrêmement choquant, explique-t-il. Mais Barbara, elle, était dans le déni. » Elle lui souffle : « On ne parle plus de ça », se souvient-elle.
Avec le Covid, le pays n’en finissait pas de se confiner, déconfiner, reconfiner. Septembre 2021. La vie universitaire reprend son cours. Il s’est passé plus d’un an. La philosophe était restée jusque-là silencieuse. « Quand je l’ai revu, dit-elle, je n’ai pas pu tenir longtemps, j’ai commencé à aller très mal. »
Un jour, elle croise un professeur et craque. « Barbara est une collègue impressionnante, constate celui-ci. Mais là, elle s’est effondrée en larmes. D’un coup, je comprenais son brusque changement de comportement avec celui dont elle avait toujours été très complice. »
Dans les couloirs du département philosophie, les langues commencent à se délier. Il y a belle lurette que tout le monde commente, ici, les attitudes et propos inappropriés de ce professeur peu ordinaire. De son côté, Barbara Stiegler dépose une main courante en décembre 2021 et alerte, dès le lendemain, la direction de son UFR. Rien ne se passe.
Elle décide, en mars 2022, de saisir la cellule de veille Stop violences de l’établissement. Le président de l’université, lui, aurait été informé oralement, et par écrit, dès le 15 décembre 2021 par son vice-président lui-même des accusations dont il est l’objet, selon un courrier dont Sud-Ouest – qui a enquêté de longues semaines sur l’affaire – aurait eu connaissance.
« C’est une information erronée, sinon mensongère », se défend Lionel Larré, tout en reconnaissant avoir parlé avec le mis en cause. « Il m’a dit qu’une collègue l’accusait injustement. Ce n’est pas suffisant pour enclencher une procédure disciplinaire. »
- « Tout ce qui avait été étouffé durant des années ressortait »
L’enseignante se sent abandonnée, « sans aucun conseil ni accompagnement ». Pire. On lui fait comprendre que cela relève du domaine privé. Que ça ne concerne pas l’université. Qu’elle n’a qu’à aller au pénal. Ce qu’elle finit par faire, le 20 juin 2022, en portant plainte pour viol.
Parallèlement, des étudiantes osent se manifester auprès de la cellule de veille. Une ancienne élève du professeur en question va jusqu’à porter plainte à son tour. Dès 2018, des groupes de parole s’étaient créés sur les réseaux sociaux, décrivant l’enseignant comme un « pervers ».
La cellule de veille se contente d’orienter l’enseignante vers le service psycho-traumatologie de l’hôpital Charles-Perrens. Les autres étudiantes n’auront même pas le droit à ce traitement. « La cellule ne s’est pas avérée efficace », reconnaît Viviane Albenga, l’une de ses anciennes membres.
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Une autre étudiante rapporte que, dans le cadre de la préparation d’un projet de recherche, elle s’était rendue chez lui pour des séances de travail. « Il m’accueillait entièrement nu. » D’abord en état de sidération, elle finit par mettre fin au projet.
Et puis il y a celle qui le remet d’emblée à sa place. « Dès lors, il a totalement changé d’attitude avec moi, m’ignorant ou se montrant agressif. » À son premier partiel, il est son examinateur. « Il ne m’a pas écoutée plus que quelques minutes, avant de déclarer que je racontais n’importe quoi. »
Sa note en dessous de la moyenne lui vaut de se retrouver en rattrapage. Là, même scénario avec le même personnage. Même note. Cette fois, il la laisse parler. Mais il sort de la pièce, lui précisant que, de toute façon, son jugement sera identique. « Pour la première fois de mon parcours, je n’ai pas pu valider une matière à un examen », souligne la jeune femme, dépitée.
- Le rectorat ouvre une enquête administrative
Au département philosophie de l’université, l’ambiance devient vite délétère. « C’est de la folie ! s’exclame un enseignant. La présidence menace de procédure disciplinaire tous ceux qui s’expriment sur le sujet. »
Le CHSCT est alerté, tout comme le syndicat enseignant Snesup-FSU. À force de barouf, le mis en cause sera finalement invité à démissionner de sa vice-présidence, puis suspendu à titre conservatoire durant un an. En mars, soit plus d’un an après les premiers signalements, le président Lionel Larré décide enfin d’engager des poursuites disciplinaires. Le rectorat ouvre une enquête administrative et récolte plus de trente témoignages.
Une ancienne étudiante, aujourd’hui professeur de philosophie, explique : « Il passait son temps à donner des surnoms aux étudiantes, “chouchou”, “ma jolie”. C’était extrêmement désagréable. Lors des oraux, il nous posait toujours des questions totalement déplacées sur notre vie privée. Son tempérament lunatique – de sympathique à extrêmement agressif – nous mettait sans cesse sur le qui-vive. C’était il y a une quinzaine d’années. Et, à l’époque, il était déjà complètement débordant. »
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Le rectorat conclut que « l’ensemble des témoignages montre à la fois leur cohérence sur des propos déplacés tenus par l’enseignant, mais aussi l’absence de remise en question de l’intéressé quand ses collègues lui soulignaient le caractère inapproprié de ses propos et attitudes ».
Nadège Dubessay. Le quotidien L’humanité. Source (Extraits)
Plus on monte dans la hiérarchie plus les prédateurs se sentent intouchables , c’est terrible , et ce qui est pire c’est que malgré leurs casseroles et surtout dans le secteur public , ils continuent à œuvrer dans leurs fonctions !