Les princesses, les loups et #Metoo

Jugés poussiéreux, sexistes, les contes n’ont plus bonne presse. Pourtant, une nouvelle génération d’auteurs s’en empare. Et si ces vieux récits pouvaient, finalement, éclairer notre présent ?

[…] L’ère post-#MeToo doit-elle faire fi de ces histoires misogynes et violentes perpétuées au fil des siècles ?

  • Jennifer Tamas pose la question sans détour en intitulant un court et vivifiant essai — tout juste publié dans une collection conçue pour être lisible dès 15 ans —, Faut-il en finir avec les contes de fées ?
  • Flore Vesco, quant à elle, propose ces jours-ci avec son roman pour adolescents De délicieux enfants, un facétieux et très contemporain Petit Poucet.

1) L’universitaire Jennifer Tamas, qui porte haut son féminisme, n’est pas à court d’arguments pour enfiler sa cape d’ardente avocate de ce genre littéraire. […] et des étudiants du New Jersey, bien peu attirés par des textes français dans lesquels ils percevaient avant tout la culture du viol ou celle de la galanterie.

[…] Je suis féministe mais mon but n’est pas de brandir mon étendard, plutôt de construire un discours scientifique cohérent, où je les invite à avoir de nouveaux outils sur une littérature qu’ils croient connaître », résume celle qui a d’abord cherché comment partager son savoir et réhabiliter les contes dont elle voulait leur parler. Partir de la pop culture, d’un terrain commun, et remonter vers le texte d’origine s’est vite imposé pour aboutir à « ce que très fréquemment mes étudiants concluent par eux-mêmes de la grande modernité des textes les plus anciens » !

2) Flore Vesco, trouve une forme d’intemporalité dans les contes anciens qu’il est possible de retrouver dans ces ouvrages (Le Joueur de flûte de Hamelin et La Princesse au petit pois par exemple).

[…] ni l’une ni l’autre ne mettent en doute l’attrait du conte auprès de lecteurs adolescents. « Flore Vesco est en phase avec eux car elle parle du monde d’aujourd’hui quel que soit son lien avec le conte », avance l’éditrice. Pour la romancière, « la démarche ne consiste absolument pas à moderniser une histoire [qu’elle] jugerai[t] archaïque » mais « d’être poreuse aux problématiques de notre époque en [se] penchant sur un conte qui par sa nature même est voué à la réécriture ». […]

Pour Gaël Aymon, autre romancier coupable de quelques textes destinés aux adolescents fortement inspirés par le conte (Une nuit de mon enfance, L’Apprenti-conteur…), c’est aussi parce que « ce genre venu de l’oralité est incroyablement simple et riche que l’on peut lui faire dire ce que l’on veut. On peut décider que c’est ultra sexiste et piégé dans des sociétés qui sont loin de nous, mais on peut aussi lui faire dire le contraire ! ».

Jennifer Tamas se plaît quant à elle à raconter combien ses étudiants sondent la modernité d’un texte ancien et caméléon à l’aune de leurs préoccupations. […]

Mais aujourd’hui, à moins de se lancer dans des études littéraires, leurs versions restent infiniment moins connues que celles de Perrault ou autres, et peu nombreux sont celles et ceux qui citeront Finette Cendron, de Mme d’Aulnoy… « Pourtant, jusqu’au XVIIIe siècle, ces contes de femmes sont autant répertoriés que ceux des hommes. C’est au XIXe que des intellectuels expurgent les anthologies, trient ceux qui passeront à la postérité et ceux qui seront oubliés.

Ajoutons à cela que d’autres femmes se sont en plus réapproprié des contes pour les christianiser et en faire des histoires morales destinées aux enfants ! Elles en ont effacé la portée subversive et sexuelle. L’un des exemples les plus connus est celui de La Belle et la Bête : la version de Mme Leprince de Beaumont [publiée en 17571 et sa morale sur la beauté intérieure a pris le pas sur celle de Mme de Villeneuve [publiée en 1740] et sa morale, plus complexe, sur la question du consentement sexuel au sein de la société. »

[…]

Jean-Claude Mourlevat a publié L’Enfant Océan il y a plus de vingt ans. Cette adaptation du Petit Poucet est de­venue un best-seller souvent étudié au collège. Pour lui, il est évident que certains propos écrits dans des contes « hérissent le poil aujourd’hui » mais qu’ils « traitent de choses qui nous constituent : la peur d’être abandonné, d’être mangé, d’être livré aux bêtes sauvages, le pouvoir, la jalousie, l’argent, la possession, l’amour, la paternité, la maternité… »

Comme le musicien s’empare d’une partition, un auteur s’empare de ces motifs littéraires.

« Les contes ne proposent pas de messages didactiques mais une parole qui parle à l’inconscient de chacun », résume quant à lui Gaël Aymon. Un peu comme si cette force mystérieuse permettait une porosité aux questionnements de chaque époque… Mourlevat avoue n’être « pas extrêmement à l’aise pour traiter les sujets de société, mais adorer le petit pas de côté réalisé en s’inspirant des contes. Il permet de se démarquer un petit peu de l’actualité et de la modernité des choses, tout en en parlant tout de même d’une façon comme transposée ». […]


Raphaële Botte. Télérama. N° 3880. 22/05/2024


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