Comme l’ombre d’un doute

Ursula Von Der Leyen — Sans adversaire déclaré au sein de la droite, la présidente de la Commission européenne était bien partie pour être reconduite. Mais ses soutiens s’effritent et les mésaventures s’accumulent

Ce n’était pas censé se passer comme ça. Après cinq années qui ont vu l’Union européenne s’affirmer dans deux crises majeures — pandémie et guerre en Ukraine — , la reconduction d’Ursula von der Leyen à la tête de la Commission européenne promettait d’être un long fleuve tranquille. Sacrée deux fois « femme la plus puissante du monde » par « Forbes », l’ex-ministre d’Angela Merkel avait gagné son pari d’incarner l’institution.

Dans une récente étude menée auprès de 5 200 citoyens de l’Union, 74 % l’identifiaient correctement sur photo. La droite continentale (Parti populaire européen, PPE), ultra-favorite du scrutin européen, devait, comme depuis vingt ans, rafler la tête de la Commission. « C’est un done deal », une affaire conclue, entendait-on à Bruxelles en début d’année, des diplomates vantant son « bilan quasi impeccable ».

Pourtant, image terrible, les eurodéputés n’étaient qu’une vingtaine dans l’hémicycle de Strasbourg, le 23 avril, pour l’écouter défendre son mandat. Au sein même de son camp politique, les relations sont complexes et son investiture a été loin d’être un triomphe. Manfred Weber, président du PPE et son rival il y a cinq ans pour la présidence de la Commission, a joué un jeu trouble en organisant, début mars à Bucarest, un congrès à l’atmosphère morose avec vote secret.

Sur 737 délégués du PPE, seuls 400 ont validé sa candidature, 89 l’ont rejetée. Aucun Français ne s’est déplacé : pour le patron des Républicains, Eric Ciotti, Ursula von der Leyen est la « candidate de M. Macron » et « incarne la dérive technocratique » de l’Europe.

A Bruxelles, elle est décrite en bourreau de travail à la limite de l’ascétisme, retranchée dans son bureau et son petit appartement au 13ᵉ étage du Berlaymont, la citadelle cruciforme de la Commission, entourée d’une garde de conseillers allemands.

Pour mener campagne, plutôt que de piocher dans son parti, elle a recruté pas moins de sept fonctionnaires de la Commission, dont son chef de cabinet et indéfectible bras droit Bjoern Seibert.

Déjà, à l’été 2019, sa nomination surprise en lieu et place de Manfred Weber, avait fait grincer des dents. Cette désignation sur le fil, fruit de l’insistance d’Emmanuel Macron, avait froissé les eurodéputés, qui ne l’avaient validée qu’à neuf voix près.

Bâtons dans les roues

Surtout, durant son mandat, Ursula von der Leyen semble avoir pris pour habitude de se mettre des bâtons dans les roues. Interrogée par le « New York Times » en 2021 sur les achats de vaccins contre le Covid-19, la présidente se vante de les avoir négociés par SMS avec le président de Pfizer. Lorsque le quotidien lui demande de publier ces échanges, elle dit les avoir effacés. La justice belge se saisit de ce « Pfizergate », puis c’est au tour du parquet européen, début avril.

Le député MoDem Philippe Latombe ne décolère pas. « Le bilan d’Ursula von der Leyen est truffé de scandales, écrit-il dans « la Tribune ». La pers­pective de la voir reconduite est le pire message que l’on puisse envoyer aux électeurs européens. » Ce spécialiste du numérique lui reproche sa « légèreté » sur le Data Privacy Framework, le nouveau système d’échange de données UE-États-Unis, qu’il juge être un cadeau en contrepartie des achats de gaz américain.

« Bien souvent, son tropisme atlantiste la pousse à des choix discutables au regard des intérêts des citoyens européens », souligne le député, qui cite aussi « la tentative avortée in extremis de la nomination de Fiona Scott Morton ». Ursula von der Leyen avait dû renoncer à nommer cette économiste américaine, ex-consultante pour Amazon et Microsoft, à la Direction générale de la Concurrence – un mauvais signal en pleine vague de souverainisme européen.

Une autre affaire de nomination avortée est venue assombrir le printemps de « VDL ». En janvier, elle nomme l’eurodéputé allemand Markus Pieper au poste de représentant de l’Union européenne pour les PME, rémunéré 18 000 euros par mois. Ce cadre de la CDU, son parti, était pourtant le moins bien évalué des candidats. Les accusations de favoritisme et de clientélisme vont bon train face à ce « Piepergate ». Le 11 avril, la nomination de Markus Pieper est désavouée par un vote cinglant du Parlement européen. Le 15, à la veille de son entrée en fonction, l’eurodéputé jette l’éponge.

Sur le fond, au terme d’une mandature hyperactive, l’UE a adopté près de 450 textes en cinq ans. Manfred Weber lui-même dénonce « l’augmentation de la bureaucratie », affirmant que le « mandat actuel n’a pas été bon » pour réduire les charges des entreprises. Les plus conservateurs reprochent aussi à « VDL » d’avoir mené une politique trop sociale, voire « décroissante ». Son style assertif sur la scène internationale, entre proximité avec Washington, soutien résolu à Israël et défense de l’adhésion ukrainienne à l’Union, suscite la méfiance de nombreuses capitales.

Ambiguïté totale

L’inflexible Von der Leyen a pourtant démontré une certaine élasticité. Pour désamorcer la colère des agriculteurs, elle a commencé à détricoter le Pacte vert et les contraintes environnementales de la politique agricole commune (PAC). Elle a fini par entendre Emmanuel Macron sur le classement du nucléaire parmi les énergies neutres. Elle s’est même affichée avec Giorgia Meloni à Lampedusa en pleine crise migratoire, semant la zizanie au sein de l’extrême droite européenne — dans une vidéo, Marine Le Pen a interpellé vertement la cheffe du gouvernement italien pour la forcer à se positionner.

Emmanuel Macron cultive, lui aussi, une ambiguïté totale sur son soutien, qu’il pourrait monnayer jusqu’à la dernière minute. « La Commission doit s’élever au-dessus des partis et des pays », déclarait le président français le 22 mars, une phrase perçue comme un désaveu alors qu’Ursula von der Leyen venait d’être investie par le PPE. Face à une Commission « sur-politisée », l’Élysée pourrait se laisser tenter par un profil plus technocratique. Et les noms qui commencent à circuler — l’ex-président de la Banque centrale européenne Mario Draghi, la présidente du Parlement européen Roberta Metsola ou le Premier ministre croate Andrej Plenkovie montrent qu’Ursula von der Leyen n’est peut-être pas si incontournable qu’elle l’aurait cru.


Timothée Vilars. Le Nouvel Obs n° 3109. 02/05/2024.


2 réflexions sur “Comme l’ombre d’un doute

  1. bernarddominik 04/05/2024 / 11h25

    C’est surtout la marque de la domination de ‘UE par l’Allemagne. Et son adversaire déclaré est aussi allemand. Elle n’est entourée que d’allemands. Ses choix sont ceux de l’Allemagne avec de petites concessions à Macron qui la font traiter de sociale! Il serait temps de changer les règles de fonctionnement de l’UE.

  2. tatchou92 04/05/2024 / 19h17

    Il serait logique qu’il y ait un Exécutif élargi, représentatif de l’ensemble de l’UE, à caractère démocratique, avec des comptes-rendus de mandat., et une Présidence tournante..

Rappel : Vos commentaires doivent être identifiables. Sinon ils vont dans les indésirables. MC