Des chiffres et des êtres

Dans la cynique arithmétique de guerre, chaque calcul compte. Et ils ne manquent pas.

Ainsi, même les nuls en maths le savent désormais, quarante-huit heures supplémentaires de trêve entre le Hamas et l’État hébreu se divisent en 20 otages israéliens et 60 prisonniers palestiniens. Lesquels viendront s’additionner aux 69 kidnappés échangés avant eux (51 Israéliens, 17 Thaïlandais, 1 Philippin) et aux 150 prisonniers palestiniens remis en liberté.

Le comptage des survivants est moins éprouvant que le dénombrement des morts, que la trêve humanitaire et son modeste prolongement suspendent momentanément.

Et, si ces chiffres sont moins grands, ils sont ainsi moins anonymes. Les femmes et les enfants monnayés par le Hamas, qui les a enlevés lors des massacres du 7 octobre, ont des prénoms, des noms et des visages. Et voir, autrement que sur des affiches, ceux de Sahar (16 ans) et d’Erez Kalderon (12 ans), comme celui d’Eitan Yahalomi (12 ans aussi), les trois premiers otages français libérés, lundi soir, est un vrai soulagement. Même s’il n’enlève rien à l’inquiétude pour tous les otages restant aux mains de leurs ravisseurs et à la merci de tous leurs calculs. Ces derniers en font beaucoup.

Des calculs numériques, mais aussi, pour ne pas dire surtout, des calculs tactiques et politiques… Le moindre de leurs gestes est calculé. L’accompagnement des otages vers la Croix-Rouge, par exemple, lourdement scénarisé.

Les libérés ont droit à de très ostensibles marques d’attention par des membres du Hamas cagoulés, tapes amicales dans le dos et longs saluts de la main. Pour un peu, ils auraient droit à une écharpe verte ou à un mug siglé du mouvement islamiste. Sous l’uniforme des terroristes auteurs du carnage du 7 octobre bat un cœur humaniste, on ne le sait pas assez !

Les réseaux sociaux palestiniens sont priés de le faire savoir. Y compris aux habitants de Gaza, qui subissent depuis des années un très dur blocus israélo-égyptien et, depuis des semaines, endurent les effroyables conséquences de cette attaque terroriste, celles de cette guerre qu’elle a entraînée. Eux comptent chaque jour, chaque heure même, de cette trêve qui leur a permis de reprendre un peu leur souffle.

Elle permet aussi aux camions de l’aide humanitaire d’entrer en plus grand nombre dans l’enclave assiégée. Ils ne peuvent que souhaiter que ce répit se prolonge mais ils sont dépendants, là encore, des calculs du Hamas, qui joue la montre et entend maîtriser le calendrier de la trêve et l’utiliser.

D’abord, à l’évidence, afin d’en profiter pour reconstituer ses forces et ses troupes, qui, même si elles sont loin d’être « éradiquées », n’en sont pas moins sérieusement cabossées par plus de cinquante jours de pilonnage. En profiter aussi pour récupérer les otages détenus dans Gaza par d’autres factions islamistes. Et continuer d’utiliser les négociations avec le Qatar, l’Égypte et les États-Unis pour se repeindre en interlocuteur fréquentable parlant d’État à État.

Beaucoup de calculs. Netanyahou en fait également, mais il dispose de peu de temps pour résoudre l’équation à laquelle son impéritie l’a confronté. Celle de devoir en même temps ramener tous les otages, comme il l’a promis aux Israéliens, qui ne sont pas près de lui pardonner son fiasco sur la sécurité, et éradiquer le Hamas. Et, pour le « jour d’après » la trêve, comme le lui demandent les Américains, mener à Gaza des opérations « de la manière la plus discrète, délibérée, prudente et attentive possible », plutôt que des frappes indiscriminées.

Là, ce n’est plus de l’arithmétique de guerre, c’est une équation à beaucoup d’inconnues.


Éditorial d’Erik Emptaz. Le Canard enchaîné. 29/11/2023


2 réflexions sur “Des chiffres et des êtres

  1. bernarddominik 01/12/2023 / 10h31

    Le hamas et Netanyahu s’entendent comme larrons en foire, sans le likoud qui a autorisé les avions quataris à atterrir à Tell Aviv pour apporter des valises de dollars à Gaza, le hamas aurait vite disparu, créé par le Cheik Yassine libéré et envoyé à Gaza par Israël. Tant qu’il y aura le hamas la solution à 2 états sera impossible et comme le likoud veut occuper la Cisjordanie en cantonnant les palestiniens dans des minuscules enclaves, comme l’apartheid, le Hamas lui assure cette impossibilité. Que les palestiniens en fassent les frais le Hamas er le Likoud s’en foutent. Ce qui compte pour le hamas c’est d’être vu comme le seul opposant à Israël, et les arabes sont tombés dans le panneau. Charles Enderlin explique bien toute cette mécanique infernale mise en place par le Likoud.

    • Libres jugements 01/12/2023 / 11h05

      Ton excellent commentaire Bernard et une synthèse résumant les différents articles postés sur ce blog. Merci.
      MC

Rappel : Vos commentaires doivent être identifiables. Sinon ils vont dans les indésirables. MC