Cacher des maux, sous des mots.

Un texte d’introduction prétend à un débat, pourquoi pas ?

Les mots, les associations d’idées qu’ils véhiculent n’ont rien d’innocent. Le dernier en date et l’utilisation une formation politique du mot « républicain » qui suscita bien des interrogations temps auprès d’intellectuels que dans les classes politiques, syndicales, auprès de chacun de nous. Rappelons-nous quelques expressions du type le/la concierge remplacé par le gardienne ou gardien d’immeuble, d’autres appellations aujourd’hui tombées dans l’oubli tel que dans les hôpitaux « les filles de salle » devenue « aide soignante », dans les rues « les éboueurs » – « agent de propreté urbaine »  ou dans les usines les « chefs de rang » – « cadre 1er échelon », La femme de ménage – « technicienne de surface », etc. La liste est longue, pourtant les occupations sont toujours les mêmes. MC

La méfiance envers les mots est une posture saine : ceux-ci, en conceptualisant les éléments qui forment la réalité, réduisent nécessairement son infinie diversité. Mais la tâche s’avère titanesque, les média, les technocrates et les politiques rendent intouchables et sacrés un certain nombre de mots et d’expressions utilisés sans interrogation. Méfions-nous du regard techniciste qui fait croire à une neutralité des termes.(…)

Faire avaler les couleuvres du système d’injustice dans lequel nous vivons – un exemple : « l’État-providence » qui associe dans une même expression un système de droits créé par et pour le peuple, mais qui suggère inconsciemment que ceux-ci émaneraient d’une puissance tutélaire, mystérieuse, qui placerait ledit peuple sous assistance.

[Les mots « glissants »] ont plusieurs sens, selon le regard politique qui leur est porté.

Mais, plus fondamentalement, la plupart des mots sont porteurs de sens multiples pouvant conduire, si l’on n’y prend pas garde, à des malentendus et autres quiproquos aux conséquences potentiellement fâcheuses : nous les avons appelés « mots glissants ». Ils ont alors plusieurs sens, selon le regard politique qui leur est porté. Ils nécessitent de notre part une nouvelle définition, adaptée à l’actualité, mais aussi une nouvelle appropriation et surtout une nouvelle défense.

Les mots de « laïcité », de « progrès » ou de « rigueur » entrent dans ce cas de figure : ils ont acquis un sens politique qui s’éloigne de nos définitions et qui nous empêche de les utiliser tranquillement, tant ils sont imprégnés d’a priori contractés négligemment ou sournoisement. Et on sous-estime toujours la capacité du capitalisme à s’adapter, à récupérer les aspirations des peuples et des individus, à légitimer sa domination au plus profond des consciences par le véhicule du langage !

Ces deux types d’expressions font l’objet de lexiques, pour opposer la réalité à chacun d’entre eux. Faut-il une « désintoxication » d’un décryptage, la mise en évidence de termes employés dans divers milieux ou secteurs, comme « les mots creux ».

L’effort de lucidité sur les mots ne date pas d’aujourd’hui. Les dictionnaires critiques ou raisonnés s’y sont penchés depuis plusieurs siècles, nous en verrons ci-dessous des exemples avec Diderot ou Rousseau. Cet effort est-il plus nécessaire aujourd’hui qu’autrefois ? Peut-être. En tout cas, il est indispensable, car le cynisme et la cruauté du capitalisme actuel forcent celui-ci à s’avancer plus masqué.

On ne doit pas limiter notre vigilance aux noms, aux verbes et aux adjectifs, on doit s’attaquer aussi aux articles (pensons au « la » de « la réforme » ou de « la croissance »), aux petits adverbes et prépositions, aux astuces grammaticales, aux « mots-fouines », selon l’expression de Baillargeon dans le Petit cours d’autodéfense intellectuelle (« la croissance pourrait atteindre jusqu’à 3 % », ce qui évidemment ne veut plus rien dire).

Est-ce à dire que nous réclamerions des textes politiques froids, au cordeau, sans talents et sans passion, exprimés en jargon ?

Où est la limite entre, d’un côté, le bien dit, l’image frappante et, de l’autre, l’abus de langage, la tromperie ?

La réponse n’est pas toujours simple, le critère essentiel nous semble celui du vrai débat sur le fond, mené avec franchise : si le lecteur, l’auditeur est respecté et peut distinguer l’effet oratoire, si l’auteur a suscité son esprit critique, l’image ou le détour ne sont pas répréhensibles ; au contraire, si l’expression cache les enjeux, endort celui qui la reçoit, là il y a perversion.

On l’aura compris. Notre dossier a un but d’éveil, il ne saurait être exhaustif. Bien d’autres que nous attirent l’attention sur ces écueils, il suffit de voir des sites comme AGORAVOX, ACRIMED, la SCOP Le Pavé, etc. On pourrait étendre le programme au décryptage des méthodes de la pub, d’autres techniques de vente de marchandises politiques frauduleuses, aux utilisations abusives de statistiques très choisies ou interprétées en torsion de la réalité, bref à ce que Noam Chomsky et Edward Herman appellent La Fabrication du consentement.

D’après P. Crépel, C. Ducrot, I. Martinache. Revue du Projet N 48