Avec les parents, c’est souvent tabou…

… alors que les ados posent les questions sexes qui les taraudent à l’aube de la première fois.

Reportage, dans un collège, lors d’un atelier d’éducation
à la vie sexuelle. Cash, sans tabous.

Pour elle, c’est une obsession. Tara est une jeune Anglaise qui fête la fin du lycée avec deux copines dans une station balnéaire en Crète. Loin de chez elles, elles ont la ferme intention de boire, danser, s’amuser. Et surtout, pour Tara : coucher enfin avec un garçon. […] La rencontre avec une bande de compatriotes venus à peu près avec les mêmes objectifs va donner à Tara l’occasion d’exaucer son vœu, qui n’est pas tant d’épanouir sa libido adolescente que de se débarrasser d’une encombrante virginité. Entreprise qui va, évidemment, s’avérer plus périlleuse, et bien moins joyeuse, que prévu.

Affalés sur leurs sièges, le sac posé entre les pieds, les élèves de quatrième d’un collège parisien sont plus jeunes que Tara – 13 à 14 ans – mais pas indifférents au sujet. Face à eux, Didier Valentin, animateur du Crips (Centre régional d’information et de prévention du sida et pour la santé des jeunes), mène un atelier d’éducation à la vie affective et sexuelle. Deux heures pour parler stéréotypes de genre, contraception, consentement… et première fois.

  • À 8h10, les élèves bâillent, les yeux mi-clos, le menton dans la main.
  • À 9 heures, réveillés par le sujet, ils gloussent et commencent à participer.
  • À 10 heures, tout à fait alertes, ils ont collé au tableau des Post-it avec des mots qu’ils aimeraient dire ou entendre le moment venu.

Il y a les provocateurs :
« J’espère t’as du cardio, ça va durer »,
« J’t’aime trop, j’te prends en leuleu » (l’animateur explique posément la position de la levrette).
Les tendres :
« Je t’aime mon amour »,
« Comment tu te sens ? »,
« Est-ce que t’es prêt ? ».

Les moitié-moitié :
« Je t’aime. On ken quand tu veux. »
Les anxieux :
« Ça y est ? J’y suis vraiment   »,
« Oublie pas la capote » 
 ;
Les catégoriques :
« Me touche pas ! »
Les romantiques :
« I love you. — T’as pas mal ?
 T’es sûr que tes parents ne sont pas là ? »

Ces mots écrits à la volée, moins anecdotiques qu’il n’y paraît, reflètent des enjeux à la fois pragmatiques et existentiels. Où faire l’amour quand on vit chez ses parents est une préoccupation importante.

Comment faire, aussi : « Hormis la pornographie, il n’existe quasiment aucune représentation réelle de la sexualité génitale », remarque Isabelle Clair, sociologue au CNRS et autrice des « Choses sérieuses. Enquête sur les amours adolescentes ». Par « première fois », ils « entendent le premier rapport sexuel génital hétérosexuel. Les filles qui ont eu des expériences sexuelles avec d’autres filles ne les comptent souvent pas ».

Caresses, baisers profonds, sexe oral ne comptent pas non plus : en témoignent ces adolescentes qui « se considèrent vierges même si elles ont pratiqué des fellations », raconte Chloé Hinault, autre animatrice du Crips.

Les lycéens qu’elle rencontre « imaginent un ordre immuable : les “préli”, dont éventuellement la fellation et plus rarement le cunnilingus, la pénétration, l’éjaculation, la fin du rapport. Les garçons pensent devoir bander dur, tenir longtemps, avoir un grand sexe… Les filles sont prises entre deux feux : celle qui ne fait pas de sexe est une prude, une coincée ; celle qui en fait risque de passer pour une pute ».

Au fond de la classe du collège, une brune à cheveux longs confirme : « On le fait à deux, mais le garçon, il aura jamais de réputation. S’il couche, on le félicite, on lui dit “t’es un homme”, alors qu’une fille on lui reproche. »

[…]

Depuis #MeToo, les élèves parlent beaucoup du consentement lors des ateliers, convient Didier Valentin, qui nuance : « La notion est très présente, mais elle recouvre des réalités floues. »

À quoi le reconnaître ? « Quand la fille sourit », « quand elle se déshabille », proposent des garçons. À voix presque basse, un jeune en survêtement observe que « l’homme aussi peut se sentir obligé ».

« C’est vrai, répond l’animateur, on part à tort du principe que les garçons ont toujours envie. » Et que, dans les relations hétérosexuelles, c’est la fille qui doit consentir.

Isabelle Clair l’a constaté sur ses terrains d’enquête. « Le script sexuel, c’est-à-dire la codification sociale du déroulement des événements, demeure le suivant : le garçon doit prendre l’initiative, et la fille doit répondre. Il est préférable qu’elle ne dise pas oui tout de suite, mais il est bien vu qu’elle ne dise pas non trop longtemps… »

Pas étonnant, donc, que « la fille se force parfois un peu, même si elle n’a pas vraiment envie », comme le dit la collégienne brune.

Pourquoi ?

D’autres : « Bah pour pas que le garçon la quitte », parce que « t’es obligée si tu l’aimes », et même « parce qu’elle a peur qu’il s’énerve ».

Un consentement, certes, mais motivé par la peur et l’obligation… « Le désir des filles, leur plaisir, sans parler de la masturbation, demeurent des sujets hautement transgressifs, soupire Isabelle Clair. Certaines en font des arguments féministes, notamment sur les réseaux sociaux, mais cela reste circonscrit à des milieux assez politisés, et à des filles plus âgées. »

La première fois, toujours vers 17 ans

Alors que l’âge moyen du premier rapport sexuel est stable depuis des années, et mixte – autour de 17 ans –, la narration qui l’entoure diffère toujours. Selon les données françaises d’une enquête internationale de 2014 menée auprès des 11-15 ans, parmi les jeunes déjà entrés dans la sexualité (27 %), plus de 20 % des filles (et 8 % des garçons) regrettent que leur premier rapport sexuel n’ait pas été plus tardif, et 8,8 % (contre 0,8 %) n’en avaient pas vraiment envie. Le Baromètre Santé de 2016, lui, indique que 10,7 % des femmes de 18 à 29 ans (et 6,9 % des hommes) ont « accepté mais pas vraiment souhaité » ce premier rapport (1). […]

[…]

Juliette Bénabent. Télérama N° 3853. Source (Extraits) https://www.telerama.fr/enfants/parler-de-sexe-avant-de-le-faire-pour-les-ados-la-premiere-fois-reste-un-cap-7018123.php

(1) Des données de 2022-2023 paraîtront l’an prochain dans l’enquête Envie de l’Ined, sur les modes de vie des jeunes adultes.

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