Le Medef joue contre la culture

L’attitude de la fédération patronale, dans la dernière ligne droite de la négociation sur l’assurance chômage des intermittents du spectacle, en est une nouvelle et insupportable démonstration.

  • Explications.

Début octobre 2023, les organisations patronales et syndicales du secteur de la culture (cinéma, spectacle vivant, musique et audiovisuel) se retrouvent pour négocier un nouvel accord sur les règles d’indemnisation des intermittents du spectacle contenues dans les annexes VIII et X du règlement général de l’assurance chômage.

Artistes et techniciens bénéficient en effet d’un régime spécifique pour répondre à la précarité de l’emploi artistique où les périodes de travail (spectacles, tournages, concerts…) alternent avec des périodes de chômage.

La discussion est très contrainte. Sur le fond comme sur la durée. La lettre de cadrage du gouvernement demande aux partenaires sociaux de diminuer, à terme, les dépenses de l’Unédic de 15 % et, a minima, qu’un éventuel accord s’autofinance.

Pas question de créer de nouvelles dépenses sans mettre en face des économies du même ordre. Le temps aussi est compté. Les organisations syndicales du secteur disposent en tout et pour tout de trois semaines pour trouver un accord, qu’elles devront ensuite transmettre à la direction de leurs organisations respectives.

Charge à ces dernières d’en intégrer les dispositions dans un accord interprofessionnel plus large qui doit, lui, être impérativement trouvé avant la mi-novembre. Faute de quoi, c’est le gouvernement qui imposera ses vues sur les nouvelles règles d’indemnisation du chômage. Et ça, les syndicats n’en veulent pas, pour éviter une mainmise totale du gouvernement sur l’assurance chômage, un des derniers bastions du paritarisme.

  • Deux représentations annulées à Bastille

Pendant trois semaines, les organisations syndicales du secteur de la culture travaillent d’arrache-pied pour rapprocher leurs positions et, le 27 octobre, trouvent finalement un compromis qui améliore les conditions d’indemnisation de certaines catégories d’artistes et de techniciens, tout en remédiant à plusieurs dysfonctionnements du système, le tout sans augmenter les dépenses du régime. Une gageure.

Moins de deux semaines plus tard, à l’occasion de la réouverture des négociations au niveau interprofessionnel cette fois, le Medef adresse son projet de protocole d’accord aux autres syndicats.

  • C’est la douche froide.

Dans le chapitre relatif aux intermittents du spectacle, l’organisation patronale balaie d’un revers de la main l’accord unanime signé entre les organisations d’employeurs et de salariés du spectacle et exige une modification d’ampleur des conditions d’accès au droit à l’assurance chômage.

Alors qu’il faut actuellement 507 heures pour en bénéficier, le Medef fixe désormais la barre à 580 heures pour les artistes et 610 pour les techniciens.

La protestation est unanime. La CGT Culture fait ses comptes et estime que si ces nouvelles règles entraient en vigueur, elles feraient sortir du régime près d’un technicien sur quatre et un artiste sur deux.

De son côté, l’Union syndicale des employeurs du secteur public du spectacle vivant (USEP-SV) dénonce « une posture irresponsable » et « une proposition totalement déconnectée de la négociation qui s’est menée en amont et en trahit la forme et l’esprit ».

Sur le terrain, les esprits s’échauffent. Deux représentations de l’Opéra Bastille sont coup sur coup annulées à l’appel du syndicat Sud, et la crainte d’un blocage des principales institutions culturelles du pays commence à se faire jour.

  • Le lendemain, coup de théâtre.

Après une journée d’intenses pourparlers, un protocole d’accord entre organisations patronales et certaines organisations syndicales (CFDT, CFTC…) sur l’assurance chômage est trouvé in extremis.

Le Medef abandonne ses exigences à l’égard des intermittents, mais obtient un statu quo sur les règles d’indemnisation actuelle, rendant du coup caduques toutes les avancées négociées dans l’accord sectoriel du 27 octobre. Comme une répétition de ce qui s’était déjà passé lors de la renégociation de 2019. Alors, oui, le régime des intermittents est une fois encore sauvé, mais trois semaines de travail et des améliorations sensibles du régime ont été, d’un coup, jetées à la poubelle.

Comment ne pas y voir une forme de mépris du Medef pour la culture, utilisée comme la simple variable d’ajustement d’une négociation et niée dans sa spécificité et son économie, censées pourtant faire partie de la grandeur de la France ?


Olivier Milot. Télérama. Source (extraits)


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