Boomerang au palais de justice.

Magistral lavage de linge sale en famille

Jeudi 9 novembre 2023, François Molins, l’ex-procureur général près la Cour de cassation, témoigne au procès d’Eric Dupond-Moretti devant la Cour de justice de la République (CJR) pour prise illégale d’intérêts. Le ministre est soupçonné d’avoir usé de son poste pour régler ses comptes avec des magistrats — dont trois du Parquet national financier (PNF) ­ avec lesquels il s’était pris la tête comme avocat.

Le proc star à la retraite ne supporte pas qu’on l’accuse d’avoir voulu « [s]e venger » de l’avocat star nommé ministre à sa place : « Je n’ai jamais ambitionné d’être garde des Sceaux », « je suis magistrat, pas politique », lance, à la barre de la CJR, l’ex-directeur de cabinet de deux gardes des Sceaux successifs (Alliot-Marie et Mercier). Même pas un peu ?

Le 15 septembre 2020 au soir, raconte Molins, Véronique Malbec, la directrice de cabinet d’EDM, lui téléphone. Entre ses mains, un rapport de l’Inspection générale de la justice (IGJ) commandé par Nicole Belloubet, à qui Dupond-Moretti a succédé, visant le fonctionnement du PNF, où bossent les fameux trois enquiquineurs de son patron.

Ce rapport ne permettrait-il pas de lancer contre eux une enquête administrative, voire une procédure disciplinaire devant le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) ? Malbec demande son avis à Molins — pour « le lendemain matin au plus tard », affirme-t-il.

Patate et pointure

Le proc flaire « une manœuvre ». Il en est convaincu : ce coup de fil est un piège ourdi par l’Élysée, Matignon et la Place Vendôme, rien que ça. « C’est la théorie de la patate chaude, on donne le dossier directement au CSM », et hop ! le conflit d’intérêts dans lequel se trouve EDM disparaît, puisqu’il n’a plus la main sur le dossier. Pas question pour le malin Molins de se faire « instrumentaliser ».

Sans attendre, il contacte « une pointure » de la Cour de cassation. « Vers 23 heures, on s’aperçoit qu’on partage les mêmes conclusions » : aller devant le CSM est « inenvisageable ».

Le lendemain, au téléphone, le magistrat préconise simplement à Malbec l’enquête administrative, qui sera d’ailleurs ouverte par le cabinet du garde des Sceaux.

La défense bondit. Qui est cette fameuse « pointure » consultée au soir du 15 septembre ? Un avocat général à la Cour de cassation, qui s’est même fendu d’une analyse par mail. À la barre, Molins exhume de sa sacoche le précieux document, dont il n’avait jamais fait état pendant l’instruction.

« Je l’ai retrouvé il n’y a pas très longtemps », explique-t-il. « Cela fait donc trois ans que vous retenez ce courriel qui dit bien qu’une enquête administrative est indispensable ! » accuse Rémi Lorrain, l’un des avocats du garde des Sceaux.

Le 29 septembre 2020, quatorze jours après cet épisode, François Molins signe dans « Le Monde » une tribune qui évoque une possible situation de conflit d’intérêts visant le ministre. « Vous dénoncez dans ce texte une infraction potentielle, sachant que vous allez la récupérer en tant que procureur général. Ça ne gêne pas le magistrat que vous êtes ? » interroge Jacqueline Laffont, conseil de Dupond-Moretti.

En tant que plus haute autorité du parquet, « je n’ai pas l’exigence d’impartialité », souffle François Molins. De loyauté non plus ?


Marine Babonneau. Le Canard enchaîné. 15/11/2023


Après une semaine de débats et de témoignages, une peine d’un an de prison avec sursis a été requise, ce mercredi 15 novembre, contre le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, premier ministre en exercice à comparaître devant la Cour de Justice de la République sous la Cinquième.

Un procès pour « prises illégales d’intérêts » qui fait risquer très gros à l’ancien ténor du barreau. S’il est condamné, Éric Dupond-Moretti encourt jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende, auxquels pourrait être adjointe une interdiction d’exercer une fonction publique.


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