La question est aussi simple que tragique : l’eau du robinet est-elle, oui ou non, buvable ?
Avant de répondre, deux faits. Un, Le Canard enchaîné a révélé l’existence d’une réunion à Paris de tous les responsables des agences régionales de santé (ARS), lesquelles sont garantes de la qualité de l’eau distribuée.
Au retour, imprudent en diable, le directeur de l’ARS d’Occitanie, Didier Jaffre, envoie un mail aux cadres de l’agence et leur dit : « Très clairement, nous allons devoir changer d’approche et de discours ; il y a des PFAS [polluants dits éternels] et des métabolites partout. Et plus on va en chercher, plus on va en trouver » En conséquence, l’eau « ne doit plus être consommée, mais seulement utilisée pour tout le reste [et il faut] donc privilégier l’eau en bouteille ».
Fou, n’est-ce pas ?
Deuxième nouvelle : l’agglomération de La Rochelle vient de fermer plusieurs captages d’eau, car il s’y trouvait bien trop de chlorothalonil R471811, métabolite du chlorothalonil, pesticide interdit depuis plus de trois ans (1). Ne quittez surtout pas ! On va expliquer.
La question des métabolites fait flipper tous ces braves gens, et ils ont raison, car il n’y a plus d’autre solution que de mentir. Tout pesticide produit des métabolites par sa dégradation chimique.
Au contact du sol, des plantes, de l’eau, du soleil, du jabot d’une abeille, de l’estomac d’un blaireau, du gésier d’un merle, le pesticide de départ crée de nouveaux composés dont un nombre X — inconnu — d’entre eux sont plus toxiques que la matière d’origine.
Nul ne sait vraiment combien de métabolites existent, mais si l’on estime que chaque pesticide « fabrique » en moyenne — simple hypothèse — six métabolites, on peut miser sur des milliers de métabolites.
Les cherche-t-on ? Non.
Un document du mouvement des Coquelicots — soutenu de bout en bout par Charlie raconte l’histoire dès février 2020 dans une longue enquête qui donne un peu le frisson. D’abord la loi. Elle interdit, sauf dérogation encadrée, de distribuer de l’eau de consommation qui dépasserait 0,1 microgramme par litre pour un pesticide lambda, et 0,5 microgramme pour tous les pesticides retrouvés.
En principe, et c’est là que commence l’enfer pour les bureaucrates de l’eau, rien ne distingue un pesticide de ses métabolites. Si une analyse de l’eau dite potable montre 0,1 microgramme d’atrazine – un herbicide et 0,1 microgramme de diéthyl-atrazine – l’un de ses métabolites -, cela ne fait pas 0,1, mais 0,2. Cela s’ajoute, ce qui est fâcheux.
Imaginons qu’on ne retrouve aucun pesticide, mais seulement des métabolites dépassant ensemble 0,5 microgramme, il faut fermer le robinet. Il faudrait.
Le plus simple est de ne pas chercher, ce que les agences officielles font avec maestria. Mais cela ne suffit pas, et une jolie manœuvre a été imaginée. Elle est compliquée, et tortueuse même, et l’on ne peut que survoler. Elle consiste à distinguer métabolite « pertinent » et métabolite « non pertinent », sur des bases ridicules, en tout cas non scientifiques. Est pertinent, selon un doc de la Commission européenne(2), un métabolite « pour lequel il existe des raisons de supposer qu’il possède des propriétés intrinsèques comparables » à la molécule de départ « en termes d’activité biologique ciblée ».
Ce serait presque drôle : si l’on pense que c’est pareil, alors c’est pareil, et il faut garder la limite de 0,1 microgramme par litre. Mais par chance pour les magnifiques surveillants de notre santé, il y a les pesticides « non pertinents ». Ceux dont on pense en se grattant les fesses qu’ils sont moins dangereux. Et en ce cas, la limite n’est plus 0,1 microgramme, mais 0,9. Une multiplication par 9. On casse le thermomètre, et on juge au doigt mouillé, ce qui est plus sûr.
Bien entendu, l’affaire est plus complexe que cette si courte évocation. Retenons que la situation est si grave que l’on cherche pour le moment à bidouiller les normes. Et que l’on ne recherche pas les milliers de métabolites présents dans l’eau, car le système s’effondrerait sur lui-même.
Fabrice Nicolino. Charlie Hebdo. 01/11/2023
- francetvinfofr/france/nouvelle-aquitaine/charente-maritime/la-rochelle/charente-maritime-l-agglomeration-de-la-rochelle-ferme-plusieurs-captages-en-eau-potable-apres-la-presence-d-un-pesticide-interdit-en-france_6131268.html
- Fabrice-nicolino.com/?p=5731
Au moyen Age , la peste , le choléra les guerres régulaient , maintenant il suffit de boire l’eau du robinet !